L’incohérence du Droit constitutionnel congolais demeure un défi majeur à relever. C’est notamment le cas des Art 3, 70, 149 et 152 de la constitution du 18 février 2006 telle que révisée en 2011, présentant jusqu’alors une certaine inadéquation, ou mieux, une équivocité manifeste.
Au fait, la constitution de la RDC du 18 février 2006 prévoit la décentralisation comme mode de gouvernance.
A son Art 3 Al 4, elle renvoie à une loi organique, celle n°08/016 du 07 Octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des ETD et leurs rapports avec l’Etat et les provinces qui, à son Art 126, dispose : « En attendant l’organisation des élections urbaines, communales et locales par la commission électorale nationale indépendante instituée par la constitution, les autorités des différentes ETD actuellement en poste sont gérées conformément aux dispositions du Décret-loi n°082 du 02 Juillet 1998 portant statut des autorités chargées de l’administration des circonscriptions territoriales ». Ce qui revient à maintenir sous l’empire des autorités déconcentrées, le Maire de la ville et le Maire Adjoint, le Bourgmestre et son Adjoint, le Chef de secteur et de chefferie, lesquelles autorités étaient déjà érigées par la loi n°08/016 du 07 Octobre 2008 en autorités devant désormais émaner des élections, et ce, relativement aux techniques d’accompagnement de sa décentralisation choisies par la RDC, notamment, « le découpage territorial » combiné aux « élections ».
Le principe de la libre administration et de l’autonomie de gestion reconnue aux ETD suppose entre autres l’existence des organes propres de décision issus de préférence des élections. C’est ce qu’on appelle l’autonomie organique.
Celle-ci accompagne la reconnaissance d’une certaine catégorie d’affaires locales distinctes des affaires nationales.
Bien plus, pour être efficace, la décentralisation doit être complétée par l’autonomie financière qui, à son tour, va de pair avec l’autonomie technique, c.à.d. celle de jouir d’une trésorerie autonome ou d’une séparation d’avec la comptabilité nationale[1].
C’est cette faculté de s’administrer librement sans immixtion d’autres organes qui rend efficace l’autonomie dont bénéficient les ETD. Elle permet ainsi l’émancipation politique des populations autochtones. Mais elle ne fait pas pour autant de la ville, de la commune, du secteur et de la chefferie, des entités indépendantes de la province ou du pouvoir central[2].
Une gouvernance démocratique postule que ceux qui dirigent bénéficient de l’onction populaire.
Il s’agit en fait de l’élection qui confère une légitimité organique et fonctionnelle[3].
En effet, l’esprit de la décentralisation va dans le sens de la plus grande indépendance personnelle possible de ces Autorités.
Comme une autorité élue a plus de chances d’être indépendante de l’Etat qu’une autorité nommée, il est conforme à cet esprit que les autorités décentralisées soient élues[4].
Ensuite, l’Art 149 et suivants de la constitution de la RDC du 18 Février 2006 procède à une énumération exhaustive des titulaires du Pouvoir Judiciaire.
Avec la révision de 2011, les parquets qui, autrefois, faisaient partie du Pouvoir Judiciaire, ont été élagués dudit pouvoir, conformément à l’Al1 de l’Art 149. L’amendement y introduit a consisté en la suppression des Parquets dans l’énumération des titulaires du Pouvoir Judiciaire. Entretemps ; ses membres se retrouvent curieusement dans la composition de l’organe de gestion du Pouvoir Judicaire qu’est le « Conseil Supérieur de la Magistrature»[5].
Cela constitue carrément une incohérence manifeste en Droit constitutionnel congolais.
Enfin, l’Art 70 de la constitution du 18 Février 2006 relatif au mandat du Président de la République qui, à son deuxième alinéa, dispose : « A la fin de son mandat, le Président de la république reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu ».
Ce qui revient à vouloir justifier le maintien au pouvoir, d’un chef de l’Etat, même au delà de son mandat, dans le contexte où la CENI n’aurait pas encore organisé les élections dans le délai, pour une quelconque cause.
D’aucuns disent que cela ne doit s’inscrire que dans le respect de la période protocolaire prévue par la constitution[6], à son Art73, sachant que le président élu entre en fonction dans les dix jours qui suivent la proclamation des résultats définitifs de l’élection présidentielle[7].
Le caractère évasif de cette disposition soulève ainsi un problème de Droit à résoudre au cours de notre étude, nécessitant ipso facto des réponses plus ou moins appropriées.
Au regard de tout ce qui précède, les questions suivantes méritent d’être posées :
L’hypothèse est une réponse relativement sommaire qui guide le travail de recueil et d’analyse des données et devant en revanche, être traitées, corrigées et analysées[8].
Ainsi nous avons tâché d’apporter des réponses préliminaires suivantes aux questions sus évoquées, dans la perspective non seulement de les confirmer ou de les infirmer dans le fond de notre étude, mais aussi de les nuancer.
Or, la théorie à elle seule ne suffit pas pour justifier de l’effectivité de la décentralisation. Il faudrait également la compléter par la pratique, la RDC ayant choisi comme techniques d’accompagnement de sa décentralisation :
« le découpage territorial » combiné aux « élections » ; C’est à peine que la première vient de se matérialiser, conformément à la loi de programmation n° 15/004 du 28 Février 2015 déterminant les modalités d’installation de nouvelles provinces définies à l’Art 2 de la constitution de 2006, à son alinéa 1er, la suppression du délai constitutionnel initial de 36 mois qui suivraient l’installation du Sénat ayant été modifié à la faveur de la révision constitutionnelle de 2011.
La seconde de techniques, en l’occurrence, les élections urbaines, municipales et locales, n’ont jamais eu lieu afin de légitimer les dirigeants à la tête des ETD comme il est de souhait dans la loi n° 08/016 du 07 Octobre 2008 ; Curieusement, à son Art 126, elle continue à maintenir les dirigeants des ETD sous le régime des autorités déconcentrées. Leur nomination jusqu’à ce jour par le pouvoir central crée une ambigüité, en ce sens que l’Art 126 sus cité ne dégageait qu’une mesure transitoire et non perpétuelle.
Là encore, une incohérence gigantesque assimilable au manque de la volonté politique.
En plus, cette révision, loin d’être opportune, vient plutôt diviser les juristes congolais.
Ça aurait été une contradiction entre une disposition de la constitution, à savoir, l’Art 149 tel que révisé en 2011, qui retire les Parquets du Pouvoir Judicaire, et d’autres textes juridiques, en l’occurrence, l’Art 3 de la loi organique n°08/013 du 05 Août 2008 portant organisation et fonctionnement du CSM qui dispose :
« Le Pouvoir judiciaire est dévolu aux Cours et Tribunaux civils et militaires ainsi qu’aux Parquets près ces juridictions...» On aurait conclu que les Parquets ne font plus partie du Pouvoir Judiciaire, sur base du principe de la suprématie de la Constitution en tant que loi fondamentale sur les autres textes juridiques ; Mais l’incohérence se dégage dans le fait que ce sont deux articles de la constitution qui s’opposent, à savoir, l’Art 149 et 152 qui, lui, continue à maintenir les Parquets dans l’organe de gestion du Pouvoir Judiciaire.
Il se dégage donc que, n’aura pas tort quiconque dira que les Parquets ne font plus partie du Pouvoir Judiciaire, au regard de l’Art 149 de la constitution telle que révisée en 2011 ; Tout comme, n’aura pas également tort quiconque estimera que les Parquets font partie intégrante du Pouvoir Judiciaire, conformément à l’Art 152 de la même constitution.
D’où, l’incohérence manifeste du Droit constitutionnel congolais et la nécessité d’une nouvelle révision constitutionnelle dans le futur.
La constitution parle bien, selon eux, à l’Al 2 de l’Art 70, de l’installation effective et non de l’élection du nouveau Président. Cela signifierait que ce dernier est déjà élu, et, le Président sortant ne serait là que pour assurer cette période transitoire comme cela est de coutume dans toutes les vieilles démocraties, telle la FRANCE, les USA... où le Président est élu au mois de Novembre, et son prédécesseur ne lui cède le Pouvoir qu’en Janvier (de l’année qui suit).
Il découle de cela que le Président en fonction, a l’obligation, en tant que garant de la constitution, de faire organiser, par de biais de la CENI, les élections avant la fin de son mandat, conformément à l’Art 73 de la constitution. Ne pas le faire, lui verrait se faire appliquer la rigueur de l’Art 75 de la même constitution qui parle des causes d’empêchement et pour ce faire, reconnaît désormais au Président du Sénat, l’exercice provisoire des fonctions de « Président de la République ».
Cependant, une controverse se dégage également à ce niveau :
Il se dégage que, remplacer le Président sortant par le Président du Sénat déjà illégitime serait comme déshabiller Saint Paul pour habiller Saint Pierre.
Face à une telle ambigüité, les voies de sortie semblent plus réduites et, nous nous alignons du coté de la doctrine qui estime que dans cas pareil, il faudrait recourir au principe du Droit administratif de la continuité des services publics de l’Etat, du moment que la constitution n’a réservé, à son Art 70, aucune sanction en cas de non organisation des élections dans le délai de la loi.
L’application du principe sacrosaint du Droit administratif de la continuité des services publics de l’Etat se justifierait par le fait que le Président de la République jouit de deux statuts juridiques, premièrement, « Institution politique » conformément à l’Art 68 de la constitution, et deuxièmement, « Première Institution ou Autorité administrative » conformément au Droit administratif congolais.
Si les choses sont interprétées de cette façon, il resterait au Pouvoir par devoir du Droit administratif, mais, verrait ses compétences réduites pendant cette période transitoire, par devoir du même Droit.
Plusieurs études ont abordé cette question, d’une manière ou d’une autre, et, nous n’avons pas la prétention d’avoir lu tous les ouvrages relatifs à l’incohérence du Droit constitutionnel congolais ou parcouru toutes les bibliothèques de la ville ou encore tous les travaux antérieurement élaborés dans ce domaine.
Cependant, nous avons sélectionné quelques unes des données récoltées en raison de leur rapprochement avec notre sujet.
Serait-il préférable, pensons-nous, de préciser les objectifs politiques à atteindre et choisir le mode de scrutin qui conviendrait le mieux à une situation donnée, tout en sachant qu’aucun système électoral ne pourrait complètement remplir les conditions idéales qu’il avait fixées[9].
Dans son développement, l’hypothèse a été vérifiée et soutenue en ce sens que le fait de soustraire le Parquet du Pouvoir Judicaire constitue une difficulté ou mieux une entrave à l’indépendance de la justice. Eventuellement, envisager une justice indépendante sans un Parquet indépendant c’est apparemment difficile. Il est allé jusqu’à confirmer la dépendance des Magistrats du Parquet au supérieur hiérarchique en ce qui concerne les actes écrits, et donc, leur appartenance au Pouvoir Exécutif, bien qu’a l’audience, ils conservent une certaine liberté qui s’exprime sous l’adage : « la plume est serve, mais la parole est libre ».
Après cette brève revue de la littérature, notre apport ou mieux notre démarcation réside en ce qu’à partir d’un certain nombre ciblé de dispositions constitutionnelles, tantôt contradictoires ou présentant des inadéquations manifestes, tantôt évasives ou imprécises, nous avons tâché de démontrer que notre Droit constitutionnel congolais comporte encore des incohérences gigantesques, nécessitant ainsi de nouvelles révisions constitutionnelles dans le future, pour essayer de lever les ambigüités.
Face à la controverse observée sur la scène politique au vue de certaines inadéquations persistantes au sein des institutions étatiques et des textes juridiques, nous avons estimé impérieux d’amorcer ce travail, qui présente un triple intérêt, à savoir, l’intérêt théorique (ou scientifique), l’intérêt pratique, enfin, l’intérêt pédagogique.
Pour la collecte, le traitement et l’analyse des données de notre travail, nous avons fait recours aux méthodes ci-après.
Nous avons fait recours à la technique documentaire en consultant quelques ouvrages ayant trait à notre recherche comme « la décentralisation et la gouvernance démocratique des ETD sous la constitution du 18 Février 2006 in J.M KUMBU-KINGIMBI, la décentralisation territoriale en république du Congo sous le régime de la constitution du 18 Février 2006, Bilan et perspectives, Edition de la campagne pour les Droits de l’homme, Kinshasa, 2014 », « Droit administratif général, Abidjan, 1990 » et alii.
Nous avons fait également usage de la technique d’interview par des entretiens avec certaines personnalités bien placées telle que le Président du TMG de Bukavu, le secrétaire Exécutif de la CENI/SUD-KIVU, et bien d’autres, qui nous ont fourni des données nécessaires, relatives à leurs domaines respectifs.
Hormis l’introduction et la conclusion générale, ce travail sera subdivisé en trois chapitres, à savoir, la décentralisation théorique en RDC (chapitre Ier) ; Ce chapitre portera essentiellement sur les considérations générales (section 1ère), ainsi que la mise en œuvre de la décentralisation et problèmes d’ordre administratif dans le processus de la décentralisation (section2). Ensuite nous parlerons de l’indépendance de la justice au regard de la révision constitutionnelle de 2011 (Chapitre IIe) ; Avant d’aborder le Conseil Supérieur de la Magistrature (Section 2ème), nous préférons commencer par les généralités sur les parquets (section 1ère). En dernier lieu, viendra le mandat du Président de la République à la lecture de l’Art 70 de la constitution de 2006 (Chapitre IIIe) ; qui comprendra les notions générales (section 1erè) enfin, le mandat du Président de la République à lecture de l’Art 70 de la constitution de la RDC (section 2ème).
[1] F.VUNDWAWE te PEMAKO, traité de droit administratif, Bruxelles, Larcier 2007, p 106 ;
[2] Charline MANENO NZIGIRE « Des élections municipales et locales ; socle de la décentralisation en république démocratique du Congo » mémoire L2 droit Public ULGL/BUKAVU, 2014-2015, Inédit, p15 ;
[3] B.BAKADISULA KANGOMA « la Décentralisation et le gouvernance démocratique des ETD sous la constitution du 18 Février 2006 » in. J.M KUMBU KINGIMBI, la décentralisation territoriale en république démocratique du Congo sous le régime de la constitution du 18 Février 2006, Bilan et perspectives, Edition de la campagne pour les droits de l’homme, Kinshasa 2004 p-71;
[4] W.BUSANE MIRINDI, Cours de Droit administratif et institutions administratives, syllabus UCB, 20111-2012 ; inédit ;
[5] Art 152 de la constitution de la RDC in J.O.RDC, 52e année, numéro spécial du 18 février 2006;
[6] Débattue aux médias, cette question a été le plus souvent au centre des discussions, mais elle s’interprétait selon certains juristes que c’est à partir du début des élections présidentielles (90 jours avant la fin du mandat) que le chef de l’Etat en place reste en fonction jusqu’à l’installation effective de nouveau président élu.
[7] Art 74 al 1, constitution de la RDC in J.O.RDC, 52e année, numéro spécial du 18 février 2006;
[8] MASIALA MA SOLO, Rédaction et présentation d’un travail scientifique, Ed. Enfants et Paix, Kinshasa, 1993, p.16 ;
[9] A.M MALUMALU et K.EL FEGHALI, une même voix, plusieurs interprétations. Définitions, caractéristiques et paradoxes des modes de scrutin ; Ed. Universitaire Africaine, Kinshasa, Juillet 2006 ; p.5 ;