Arrow Table de matières
3444112

I.3. LE ROLE DU PRIX DANS LA STRATEGIE MARKETING

Tout produit a nécessairement un prix, mais toute entreprise n’est pas nécessairement en position de déterminer le prix auquel elle souhaite vendre son produit. Là où les produits sont indifférenciés et les concurrents nombreux, l’entreprise ne détient aucun pouvoir de marché, et le niveau du prix est une donnée qui lui est imposée par le marché. Là où, au contraire, l’entreprise a développé le marketing stratégique et détient de ce fait un pouvoir de marché, la détermination du prix de vente est une décision clé qui conditionne amplement la réussite de la stratégie adoptée. Pendant longtemps, les décisions de prix ont été envisagées dans une optique très financière et étaient largement déterminées par les seules contraintes de coût et de rentabilité. Les turbulences économiques et concurrentielles de ces dernières années ont profondément modifié cet état de choses : risque de relance de l’inflation, hausse du coût des matières premières, taux d’intérêt élevés, contrôles et blocages des prix, concurrence accrue des pays nouvellement industrialisés, baisse du pouvoir d’achat, consumérisme, etc. Tous ces facteurs ont contribué à faire des décisions de prix des choix d’importance stratégique. Après avoir décrit le rôle du prix dans la décision marketing, on analysera successivement les stratégies de prix qui mettent l’accent sur les coûts, la concurrence et la demande.

Au niveau de l’entreprise, le problème du prix se pose dans une double perspective : le prix est à la fois un instrument de stimulation de la demande, au même titre que la publicité par exemple, et un facteur déterminant de la rentabilité à long terme de l’entreprise. Le choix d’une stratégie de prix implique donc le respect de deux types de cohérence : la cohérence interne, c’est-à-dire la détermination du prix du produit par rapport aux contraintes de coût et de rentabilité ; la cohérence externe, c’est-à-dire la détermination du prix du produit compte tenu de la sensibilité au prix des clients dans le segment cible et du prix des produits concurrents. En outre, les décisions en matière de prix doivent être cohérentes par rapport aux décisions de positionnement du produit et par rapport à la stratégie de distribution.[1]

I.3.1 La perception du prix par le client[2]

Le prix est l’expression monétaire de la valeur et, comme tel, il occupe une position centrale dans le processus de l’échange concurrentiel. Le comportement d’achat peut être analysé comme un système d’échange où se compensent des recherches de satisfaction, d’une part, et des sacrifices monétaires et non monétaires d’autre part. Ce comportement est la résultante des forces où s’équilibrent, d’un côté, un besoin, caractérisé par l’attitude du client à l’égard du produit et, de l’autre, le prix du produit. Pour le client, le prix qu’il est prêt à payer mesure l’intensité du besoin, la quantité et la nature des satisfactions qu’il attend ; pour le vendeur, le prix auquel il est prêt à vendre mesure la valeur des composants du produit, à laquelle s’ajoute le profit qu’il espère réaliser.

En réalité, la notion de prix est plus large et dépasse la simple conjonction de facteurs purement objectifs et quantitatifs, en ce sens que le sacrifice consenti est incomplètement mesuré par la quantité d’argent concédée, de même que la satisfaction reçue est imparfaitement mesurée par la quantité de bien obtenue.

Pour le client, un produit est un panier d’attributs ou de valeurs, et les satisfactions qu’il retire d’un produit sont multiples ; elles résultent non seulement du service de base du produit, mais également de l’ensemble des utilités ou valeurs, objectives et perceptuelles, qui le caractérisent. Ce que le prix est supposé représenter, c’est donc la valeur, pour le client, de l’ensemble de ces satisfactions. Rappelons par ailleurs qu’un client exerce plusieurs rôles (acheteur, payeur, consommateur) et qu’il importe d’évaluer l’importance du prix dans chaque rôle. Le prix, vu sous l’angle du client, doit donc être conçu comme la contrepartie de l’ensemble des satisfactions procurées et être établi en fonction de la valeur d’usage ou de l’utilité globale perçue par le client. D’où l’importance d’un positionnement clairement défini avant le choix du prix de vente.[3]

I.3.1.1. Le coût total d’acquisition d’un produit pour le client

De même que la quantité de bien procurée mesure imparfaitement la quantité de satisfaction reçue, la quantité d’argent cédée mesure imparfaitement l’importance du sacrifice consenti. En fait, le coût pour le client fait intervenir, non seulement le prix payé, mais également les termes de l’échange, c’est-à-dire l’ensemble des modalités pratiques qui vont présider au transfert du titre de propriété, telles que les délais de paiement, les modalités et délais de livraison, le service après-vente. Dans certains cas, le client peut avoir à supporter d’importants coûts de comparaison de prix, de transaction ou de négociation (par exemple du fait de sa localisation dans des zones géographiques isolées). De même, un client acheteur peut être amené à supporter des coûts de transfert élevés s’il change de fournisseur, dans la mesure où il a lié les spécifications de son produit à celui d’un fournisseur bien précis. Les principales causes de ces coûts de transfert sont les suivantes :

  • des coûts de modification des produits existants afin qu’ils correspondent au produit du nouveau fournisseur ;
  • des changements dans les habitudes de consommation ou d’utilisation du produit ;
  • des dépenses de formation ou de recyclage des utilisateurs ;
  • des investissements pour acquérir les nouveaux équipements nécessaires à l’utilisation des nouveaux produits ;
  • des coûts de réorganisation et des coûts psychologiques de changement.

Tous ces coûts peuvent être plus élevés pour certains clients que pour d’autres. Lorsque de tels coûts de transfert existent, le coût réel pour le client est bien plus élevé que le prix de vente du produit.[4]

I.3.1.2. Définition du prix vu sous l’angle du client

Vu sous cet angle, la notion de prix déborde donc largement celle du prix nominal et inclut l’ensemble des satisfactions apportées par le produit ainsi que l’ensemble des sacrifices, monétaires et non monétaires, supportés par le client pour s’approprier le produit. Les mesures de la sensibilité au prix des acheteurs devront donc prendre en compte non seulement le prix nominal du produit mais aussi l’ensemble de ces satisfactions et coûts. Vu sous l’angle du client, le prix se définit donc comme suit :

Pour illustrer la complexité du prix vu sous cet angle, voici 7 manières de modifier le rapport précédent (Monroe, 1990). On peut modifier :

  1. quantité d’argent cédée par le client payeur ;
  2. la quantité de biens ou de services fournis par le vendeur ;
  3. la qualité des biens ou des services fournis par le vendeur ;
  4. les primes et réductions consenties en fonction des quantités achetées ;
  5. le moment et le lieu du transfert du titre de propriété ;
  6. le lieu et le moment du paiement ;
  7. les modes de paiement acceptables.[5]

I.3.2 L’importance des décisions de prix[6]

Dans l’environnement concurrentiel actuel, l’importance des décisions concernant les stratégies de prix apparaît à la lumière des faits suivants.

  • Le prix retenu influence directement le niveau de la demande et détermine donc le niveau d’activité ; un prix trop élevé ou trop faible peut compromettre le développement du produit. La mesure de l’élasticité au prix est donc une donnée essentielle.
  • Le prix de vente détermine directement la rentabilité de l’activité non seulement par la marge bénéficiaire qu’il prévoit, mais aussi par le biais des quantités vendues en fixant des conditions sous lesquelles les charges de structure pourront être amorties dans l’horizon temporel fixé. Une faible différence de prix peut avoir un impact très important sur la rentabilité.
  • Le prix de vente retenu influence la perception globale du produit ou de la marque et contribue de ce fait au positionnement de la marque au sein de l’ensemble évoqué par les clients potentiels. Le prix est perçu par les clients comme un signal, surtout dans le marché des biens de consommation ; il engendre inévitablement une idée de qualité et concourt donc à la création de l’image de marque.
  • Le prix, plus que les autres variables marketing, se prête facilement aux comparaisons entre marques ou produits concurrents. Tout changement de prix est rapidement perçu par le marché et peut, en raison de sa grande visibilité, brutalement bouleverser l’équilibre des forces en présence. Le prix est un point de contact obligé entre concurrents.
  • La stratégie de prix doit être compatible avec les autres composantes de la stratégie marketing. Ainsi, le prix doit permettre de financer la stratégie publicitaire et promotionnelle ; le conditionnement du produit doit conforter le positionnement de haute qualité et de prix élevé ; la stratégie de prix doit respecter la stratégie de distribution et permettre d’atteindre les marges de distribution nécessaires à la réalisation des objectifs de couverture du marché. L’évolution de l’environnement économique et concurrentiel a contribué à sensiblement accroître l’importance et la complexité des stratégies de prix.
  • L’accélération du progrès technologique et le raccourcissement du cycle de vie des produits impliquent qu’une activité nouvelle soit rentable dans un délai beaucoup plus court qu’autrefois. Une erreur sur le prix d’introduction est d’autant plus grave qu’elle est plus difficile à corriger.
  • La prolifération de marques et de produits relativement peu différenciés, l’apparition régulière de produits nouveaux, l’extension des gammes de produits, renforcent l’importance d’un juste positionnement en termes de prix. Or, de petites différences peuvent parfois considérablement modifier la perception d’une marque par le marché.
  • Entre aussi en ligne de compte, la politique de marque privée des grands distributeurs et des hard discounters qui offrent des produits ayant un bon rapport qualité/prix.
  • L’augmentation des prix de certaines matières premières, les pressions inflationnistes, les rigidités salariales et les contrôles des prix, renforcent la nécessité d’une gestion économique plus rigoureuse.
  • Dans certains secteurs, les contraintes légales, réglementaires et sociales qui prennent la forme de blocages de prix, de fixation de marges maximales, d’autorisation préalable de hausse tarifaire, et limitent l’autonomie de l’entreprise dans le domaine de la détermination des prix.
  • La contraction du pouvoir d’achat dans la plupart des économies occidentales rend les consommateurs plus attentifs au prix et renforce le rôle de celui-ci en tant qu’instrument de stimulation des ventes et de la part de marché.
  • L’avènement de l’euro en Europe qui, combiné avec la popularité croissante de l’Internet, accroît progressivement la transparence des marchés en matière de prix.

Eu égard à l’importance et à la complexité de ces décisions, les politiques de prix sont souvent élaborées en liaison étroite avec la direction générale de l’entreprise.

I.3.3 Les objectifs des stratégies de Prix[7]

Toutes les entreprises poursuivent, bien entendu, l’objectif de rentabiliser leurs activités et de générer un surplus économique aussi élevé que possible. Cet objectif très général peut se traduire dans les faits de plusieurs façons et toute entreprise a intérêt à clarifier l’objectif prioritaire qu’elle s’efforce d’atteindre. De manière générale, on peut regrouper les objectifs possibles en trois catégories : les objectifs centrés sur l’entreprise (profit ou volume), sur la concurrence ou sur la demande.

I.3.3.1. Les objectifs centrés sur l’entreprise (profit ou volume)

Les objectifs centrés sur le profit correspondent soit à la maximisation du profit, soit à la réalisation d’un taux suffisant de rentabilité sur capital investi. L’objectif de la maximisation du profit est le modèle proposé par les économistes. En pratique, ce modèle est d’application difficile, comme on le verra plus loin, non seulement parce qu’il nécessite une connaissance précise des fonctions de coût et de demande pour chaque produit considéré, mais surtout parce qu’il suppose une stabilité des facteurs d’environnement et de concurrence qui est rarement réalisée dans les faits. L’objectif très répandu du taux de rentabilité dit «suffisant», se traduit en pratique par le calcul d’un prix cible ou d’un prix suffisant, c’est-à-dire un prix qui, pour un niveau d’activité prévu, assure un rendement «raisonnable» du capital investi.

Cette pratique, qui se rencontre souvent dans les grandes entreprises, a le mérite de la simplicité, mais s’avère discutable sur le plan conceptuel, car elle tend à ignorer le fait que c’est le niveau du prix qui en définitive détermine le niveau de la demande.

Les objectifs centrés sur le volume visent à augmenter le chiffre d’affaires ou la part de marché, ou plus simplement, à assurer un taux de croissance des ventes suffisant. Un objectif de maximisation de la part de marché implique l’adoption d’un prix de pénétration, c’est-à-dire d’un prix relativement bas, inférieur à celui de la concurrence, afin d’accroître le plus rapidement possible le volume et, par voie de conséquence, la part de marché. Une fois la position dominante atteinte, l’objectif deviendra celui du taux de rentabilité suffisant. Il s’agit d’une stratégie souvent adoptée par les entreprises qui bénéficient d’un effet d’expérience important et qui escomptent, de ce fait, une baisse de leur coût par l’augmentation du volume cumulé. Une tout autre stratégie est celle du prix d’écrémage qui recherche un chiffre d’affaires élevé en tirant parti du fait que certains groupes de clients sont prêts à payer un prix élevé en raison de la haute valeur perçue du produit. L’objectif est ici de réaliser le chiffre d’affaires le plus important possible en recherchant un prix élevé plutôt qu’un volume élevé.[8]

I.3.3.2. Les objectifs centrés sur la concurrence

Les objectifs centrés sur la concurrence recherchent soit la stabilisation des prix, soit l’alignement sur les concurrents. Dans un certain nombre d’industries dominées par une entreprise leader, l’objectif est de fixer une relation stable entre les prix des différents produits en concurrence et d’éviter de fortes fluctuations des prix qui pourraient affecter la confiance des clients. L’objectif d’alignement (prix de parité) est révélateur du fait que l’entreprise se rend compte qu’elle ne peut exercer aucune influence sur le marché, surtout si une autre entreprise domine et si les produits sont standardisés, comme c’est souvent le cas en situation d’oligopole indifférencié. L’entreprise préfère alors porter ses efforts sur des formes de concurrence hors-prix. D’autres objectifs peuvent également être poursuivis, tels que celui de la survie (prix défensif) ou celui de la mise hors-marché d’un concurrent encombrant (prix prédateur).[9]

I.3.3.3. Les objectifs centrés sur la demande

Les objectifs centrés sur la demande cherchent à répondre à une attente de marché. Il peut s’agir d’un prix à la valeur perçue, à l’avantage économique, d’un prix optimal ou d’un prix flexible. Il s’agit principalement de tenir compte du point de vue du consommateur et de ce qu’il est prêt à payer en fonction des avantages perçus du produit ou des conditions d’achat (moment, lieu…). Si la concurrence influence souvent cette perspective, la rentabilité interne de l’entreprise n’est pas nécessairement respectée par cette approche.[10]

I.3.3.4. La conciliation des trois pôles de détermination du prix

En pratique, l’élaboration d’une stratégie de prix suppose la prise en considération de ces trois groupes de facteurs : l’entreprise, la demande et la concurrence, sans oublier les contraintes légales imposées par des législations locales, nationales et internationales. En matière de fixation de prix, l’erreur grossière serait de le fixer avec myopie, c’est-à-dire sans tenir compte des trois pôles qui le déterminent. C’est pour cela que l’on examinera successivement ces différents facteurs et leurs implications sur la détermination du prix. Le problème est que ces trois types de prix peuvent mener à des conclusions diamétralement opposées.

Les prix qui garantissent la rentabilité de l’entreprise (E) peuvent être plus élevés que ce que les clients et la demande sont prêts à payer (D), mais cependant moindres que ceux de la concurrence (C) : (C > E > D). Ou encore le marché est prêt à payer largement plus que ce que demande la concurrence ou l’entreprise, toutes deux au même niveau (D > C=E).

Dans tous les cas où l’entreprise a des prix internes inférieurs à ceux de la concurrence, elle dispose d’un avantage concurrentiel interne. Dans les cas où la demande est prête à payer plus cher pour le produit de l’entreprise que pour ceux de la concurrence, l’entreprise détient un pouvoir de marché, probablement lié à un avantage concurrentiel externe. Mais dans tous les cas où les prix internes sont supérieurs aux prix que la demande est prête à accepter, l’entreprise se trouve dans une situation problématique : elle ne pourra pas être rentable. Une seule consolation : si la concurrence est dans le même cas, il est possible d’envisager une requête collective de subside ou de protectionnisme.[11]

[1] Jean-Jacques Lambin et Chantal de Moerloose, Op cit, p457

[2] Armand Dayan, Manuel de Gestion, volume 1, 2e édition, Ellipse/AUF, Paris, 2004, p386

[3] Idem, p387

[4] Armand Dayan, Op cit., p388

[5] Jean-Jacques Lambin et Chantal de Moerloose, Op cit, p458

[6] Idem, p458-459

[7] Daniel Durafour, Marketing, 6e édition, Dunod, Paris, 2009, p70

[8] Daniel Durafour, Op cit, p71

[9] Idem, p72

[10] Idem, p73

[11] Jean-Jacques Lambin et Chantal de Moerloose, Op cit, p465

Partager ce travail sur :