I.1. Origine et description
Le manioc, Manihot esculenta Crantz, est originaire du nord de l’Amérique du Sud. Cette espèce cultivée n’existe plus à l’état naturel. Le manioc fut amené en Afrique à la fin du 16ème siècle par les navigateurs portugais. Il s’est rapidement rependu principalement dans l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale mais en Afrique orientale, la progression du manioc se situe plus tardivement à la fin du 17ème siècle(Janssens, 2001).
Le manioc (Manihot esculenta Crantz) est une des quelques 199 espèces d’arbres, d’arbustes et d’herbes constituant le genre Manihot, dont la distribution s’étend du nord de l’Argentine au sud des États-Unis d’Amérique. Sa mise en culture, se fait essentiellement pour ses racines tubéreuses riches en amidon. La culture du manioc est estimée remonter à 9 000 ans, ce qui en fait l’une des productions agricoles les plus anciennes. L’expansion de cette culture a été considérable au cours du XXe siècle, où on l’a vu émerger comme une culture alimentaire de base de premier plan dans toute l’Afrique sub-saharienne ainsi qu’en Inde, en Indonésie et aux Philippines. Du fait qu’il est vulnérable au froid et que sa période de croissance dure presque un an, la culture du manioc se confine presque exclusivement dans les zones tropicales et subtropicales. Sa culture est pratiquée aujourd’hui par des millions de petits agriculteurs dans plus de 100 pays, depuis les American Samoa jusqu’à la Zambie, sous toutes sortes d’appellations locales: Mandioca au Brésil, Yuca au Honduras, Ketela pohon en Indonésie, Mihogo au Kenya, Akpu au Nigéria et au Viet Nam(F.A.O, 2013).
Le manioc est un arbuste ligneux, vivace et ramifié pouvant atteindre jusqu’à 5 mètres de hauteur. Il produit de larges feuilles fortement lobées et spiralées de formes très variables. Lors de leur croissance, les arbrisseaux produisent plusieurs racines tubéreuses de réserve contenant jusqu’à 35% d’amidon, pouvant atteindre jusqu’à 1 mètre de long, et peser collectivement jusqu’à 40 kg. Le manioc produit des fleurs régulières femelles et mâles aux dimensions réduites réunies en petites grappes. L’arbuste produit un fruit de forme de capsule non charnue( Kouakou et al., 2015).
Le système racinaire du manioc est bien développé et lui confère une bonne tolérance à la sécheresse. Les racines principales ont tendance à former les tubercules de 30 à 80 centimètres de longueur et de 5à10 centimètres de diamètre. Leur poids varie en général de 1à
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4kg. Dans certaines circonstances, elles peuvent atteindre un mètre de longueur et peser 20 à 25kg(Anonyme, 2013).
La longueur des entre-noeuds est décroissante du sommet vers la base et varie avec les variétés et conditions de culture. Les feuilles sont alternées, palmatilobées et caduques. Les inflorescences apparaissent au point de ramification de la tige et des branches. Ce sont des grappes, avortant souvent, ce qui restreint la multiplication du manioc par graine et favorise son bouturage(Byamungu, 2003).
Manihot esculenta présente des caractéristiques qui en font une culture très attractive pour les petits producteurs des zones isolées à sols pauvres et à précipitations faibles ou aléatoires. Comme il est propagé au moyen de boutures des tiges, le matériel végétal (boutures) est abondant et bon marché. La plante supporte très bien les sols acides, et participe à une association symbiotique avec des champignons du sol qui aident ses racines à absorber le phosphore et les oligoéléments. Elle décourage les herbivores au moyen de deux glycosides produits par ses feuilles et qui, à la digestion, forment du cyanure d’hydrogène, hautement toxique. Du fait que la plupart des nutriments du sol absorbés au cours de sa croissance restent dans la partie aérienne de la plante, le recyclage de cette partie aide à préserver la fertilité du sol. Lors d’un stress provoqué par la sécheresse, la production foliaire se réduit jusqu’à la pluie suivante. Grâce à l’utilisation efficace de l’eau et des nutriments du sol par le manioc, ainsi qu’à sa résistance aux attaques sporadiques de ravageurs, les producteurs, tout en utilisant peu ou pas d’intrants, peuvent compter sur une récolte raisonnable là où d’autres cultures échoueraient. Une racine tubéreuse de manioc contient plus de 60 pour cent d’eau.
Cependant, sa matière sèche est très riche en glucides, qui constituent environ 250 à 300 kg pour une tonne de racines fraîches. Quand la racine est utilisée comme aliment, le meilleur moment pour la récolte est environ 8 à 10 mois après plantation; plus la croissance est longue, plus le rendement en amidon est élevé. Cependant, pour certaines variétés, la récolte peut se faire «à la demande», n’importe quand entre six mois et deux ans. Ces qualités font du manioc une des cultures de base alimentaires les plus faibles (F.A.O, 2013).
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I.2. Diversité du manioc
Les maniocs amers et les maniocs doux
On oppose souvent deux grands groupes de maniocs selon leur teneur en dérivés cyanhydriques, les doux sont directement consommables après une simple cuisson et les amers demandent un processus complexe de transformation et de détoxication avant d’être consommés(Laure et al., 1996).
I.3. Importance
I.3.1. Importance agronomique
Le manioc possède bien d’avantages agronomiques. En effet, plante très cultivée, peu exigeante quant à la qualité de sols et aux conditions climatiques, elle est disponible toute l’année dans presque toutes les provinces. Sa culture aisée, ses besoins limités en intrants en aptitude à produire dans des conditions défavorables lui confèrent une place prédominante dans l’agriculture de subsistance. La patate douce et le manioc ne bénéficient généralement pas d’intrants particuliers, sauf peut-être le fumier et le compost produits dans l’exploitation et le paysan n’a pas besoin de semence puisqu’il utilise ses propres boutures(Bergen, 1986). Dans les régions à saison sèche trop prolongée ou à la température peu élevée par suite de l’altitude, le manioc est surtout cultivé comme vivre de réserve du fait que cette culture a besoin de l’eau pendant les deux mois qui suivent la plantation surtout (Vandenabeele et Vendenput, 1951).
I.3.2. Importance économique
La production du manioc se situe à la cinquième place dans les statistiques mondiales après le blé, le riz, le maïs, la pomme de terre. La culture de manioc occupe le plus grand nombre de ménages agricoles au Sud-Kivu. La commercialisation ne se fait que sur 28% de la production totale, le prix au producteur n’est pas incitatif (Anonyme, 2000).
La demande urbaine de manioc a sensiblement augmenté avec l’accroissement de la population urbaine de Bukavu. S’agissant du revenu, les ménages les plus démunis consacrent plus de la moitié de leur revenu à l’alimentation. Or le montant consacré à l’achat de manioc ou de sa farine par un ménage en moyenne à Bukavu est de l’ordre de 11,33% dans le total de la gamme du régime alimentaire. En ce qui concerne le prix, pour un ménage
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pauvre à Bukavu, l’augmentation du prix de manioc a une incidence importante sur le pouvoir d’achat familial (Byamungu, 2003).
Le manioc est aussi un produit stratégique par ce qu’il se transforme en une gamme variée de sous-produits très demandés et qu’il met en relation un très grand nombre d’acteurs. Ces acteurs sont principalement les producteurs, les transformateurs et les revendeurs (Anonyme, 2000).
Sur base de la superficie des terres allouées à sa culture (environ 50% des superficies totales cultivées) et de son apport dans l’alimentation de la population, le manioc est la culture vivrière la plus importante en RDC et constitue une denrée stratégique pour les populations congolaises et une garantie pour leur sécurité alimentaire. Le manioc est cultivé dans toutes les provinces du pays avec une production totale de 15.004.430 tonnes en 2007. En effet, le manioc est une denrée prioritaire dans les habitudes alimentaires des congolais. Utilisé sous plusieurs formes (Fufu, Chikwangue, Pondu, etc.), il constitue l’aliment de base et fournit plus de 60% d’énergie à la population congolaise. Il constitue également une source potentielle de génération des revenus à travers la commercialisation de ses feuilles, ses racines tubéreuses et les produits dérivés de celles-ci (F.A.O, 2009).
Toute la région du Kivu (ancien Kivu) pratique la culture de manioc et occupe de ce fait le deuxième rang de producteur au niveau du pays (Anonyme, 1985). Les habitants de la République Démocratique du Congo et ceux du Nigeria consomment à eux seuls le tiers de manioc utilisé dans l’alimentation humaine dans le monde (Agboregbe et al., 1995).
L’importance socio-économique de cette plante s’apprécie à travers sa contribution à la santé alimentaire des populations, à l’emploi qu’elle génère et aux revenus monétaires et agricoles qu’elle permet de récolter (Byamungu, 2003).
I.3.2. Importance nutritionnelle
En raison de la teneur élevée en amidon des racines tubéreuses, le manioc constitue une source importante d’énergie métabolisable. Son rendement énergétique à l’hectare est souvent très élevé, et il a le potentiel de dépasser largement celui des céréales. Dans de nombreux pays d’Afrique sub-saharienne, c’est la source la moins chère de calories. De plus, les racines tubéreuses contiennent des quantités significatives de vitamine C, de thiamine, de riboflavine et de niacine. Ils peuvent également présenter, selon la variété, une teneur élevée en glycosides cyanogénétiques, particulièrement dans les téguments externes (F.A.O, 2013).
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Le manioc est l’aliment de base pour plus de 70% de la RDC ; les racines tubéreuses comme les feuilles sont consommées presque quotidiennement. Les racines constituent la source la plus importante d’énergie, on y tire plus de 60% de calories ; les feuilles fournissent des protéines, vitamines et éléments minéraux.
Comme les feuilles des légumineuses, les feuilles de manioc sont aussi consommées comme légumes.
Le tableau1 compare la composition chimique des feuilles de manioc et d’autres légumes.
Tableau 1 : Composition chimique des feuilles de manioc comparée à celle d'autres légumes en région tropicale.
Légumes
Protéines totales (g/100g)
Ca (mg /100g)
Fe (mg /100g)
Zn (mg /100g)
Feuilles de manioc
7
160
2,4
-
Feuilles de patate douce
2,9
183
1,8
0,5
Amarantes
2,8
176
2,8
-
Chou
1,9
44
0,4
0,3
Epinard
3,2
93
3,1
-
Carotte
0,7
48
0,6
0,4
Laitue
1
23
0,9
0,2
Tomate
0,9
13
0,4
0,2
Oignon
0,9
31
0,3
0,1
Source : Shaha et al. cité par Manyonga, 1997)
Le tableau 1 fait ressortir l’avantage nutritionnel qu’ont les feuilles du manioc. Du point de vue protéique, les feuilles de manioc présentent une valeur importante par rapport à d’autres feuilles consommées localement comme légumes. Cependant les protéines sont, moins bien équilibrées. Le manioc sous différentes formes est d’un apport important à l’alimentation humaine.
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Le tableau2 donne la valeur alimentaire des différentes formes de consommation des racines du manioc.
Tableau 2 : Valeur alimentaire des différentes formes de racines du manioc
Composition
Racines fraiches
Cossettes
Farine
Eau
61%
14,8%
13,7%
Matières amylacées
33,6%
74,3%
78,9%
Matières azotées
1,2%
2,7%
2,7%
Matières grasses
0,4%
1,5%
0,5%
Matières minérales
1,2%
2,2%
1,5%
Cellulose
2,6%
4,5%
2,7%
Source : (Anonyme, 1993)
La proportion en chair de manioc consommable varie de 80 à 90% selon la variété, l’âge et la maturité du tubercule. La composition chimique du manioc épluché est en effet fonction de la maturité, de la variété et des pratiques culturales, du milieu de stockage et de la région. Les tubercules contiennent 30 à 40% de matières sèches où l’amidon et les sucres sont prédominants.
Le manioc frais, la farine et les feuilles de manioc sont riches en calcium, phosphore et le fer en quantité moindre. La vitamine la plus recherchée par l’organisme comme la vitamine C est bien présente dans le manioc.
Toutefois le manioc constitue un danger pour la population par sa toxicité lorsque cette dernière n’est pas contrôlée. Cette toxicité est due aux cyanoglycosides dont la teneur varie suivant les variétés, et pour une plante, d’une variété donnée suivant les parties de la plante. Les différents procédés de transformation réduisent cette toxicité si bien que bien traité le manioc ne présente plus que des traces de ces cyanoglycosides. Au Sud-Kivu, l’importance de cette culture varie suivant les territoires et les maniocs circulent des zones productrices vers les moins productrices(Byamungu, 2003).
I.4. Consommation et utilisation du manioc en Afrique
Avec plus de 57 millions de tonnes de racines et leurs produits de transformation consommés, le manioc est la plus importante plante alimentaire de l’Afrique, avant le maïs avec 30
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millions de tonnes (F.A.O. cité par Bell et al., 2000). A l’échelle mondiale, la tendance croissante à l’utilisation du manioc dans l'alimentation humaine représentait environ 20 % entre les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix. En Afrique, cette augmentation a atteint près de 40 % au cours de la même période. 200 millions de personnes environ (plus d’un quart de la population totale du continent) vivent du manioc comme aliment de base de première nécessité. Chacune d’elles consomme en moyenne plus de 100 kg de manioc par an.
Au Congo démocratique, en Mozambique et en République Centra- Africaine, le manioc représente environ 50 % de la consommation alimentaire.
En République démocratique du Congo, où la dépendance vis-à-vis du manioc est particulièrement forte, les gens disent que le manioc est « tout suffisant » parce qu’ils reçoivent le pain des racines et la viande des feuilles. Dans l’ensemble, le manioc fournit environ un tiers du total des aliments de base de l’Afrique subsaharienne. Il est beaucoup consommé par les citadins du fait que les produits de transformation tels que le gari ou les cossettes se prêtent particulièrement bien au transport, au commerce et à la préparation rapide de repas. Le manioc constitue aussi un aliment spécial pour les enfants. Au Cameroun, par exemple, on donne couramment de la bouillie de manioc aux nourrissons de 6 à 12 mois.(Bell et al., 2000)
I.5. Exigences écologiques
Ce véritable triomphe est dû entre autres aux capacités d’adaptation et aux exigences minimes de cette plante en matière de sol, de pluies et de soins pendant la production au champ. Le manioc, qui est une plante des basses altitudes tropicales, préfère les températures moyennes d’environ 25 à 29 °C. La production de racines est optimale par une pluviométrie de 1 000 à 1 500 mm par an, mais la plante supporte assez bien la sécheresse pourvu qu’elle reçoive suffisamment de pluie pendant les deux premiers mois après la plantation. Grâce à l’aptitude que possède le manioc de cesser de pousser et de rejeter une partie de ses feuilles afin de réduire la transpiration en l'absence de pluie, le manioc peut être cultivé de manière profitable jusqu’à un minimum de pluviométrie de 500mm. Au-delà de 1 000 m d’altitude, la production de racines tubérisées est insatisfaisante.
Au début de sa croissance, le manioc ne fait pas concurrence aux cultures associées pour les éléments nutritifs, ce qui explique son utilisation fréquente en culture mixte, surtout avec le
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maïs. Le sol idéal pour le manioc doit être sablonneux et argileux et présenter une fertilité moyenne. Néanmoins, des rendements raisonnables peuvent être obtenus sur des sols épuisés où l'on ne peut plus produire d’autres cultures. Ceci explique que le manioc vienne habituellement en dernier dans les systèmes traditionnels de rotation des cultures. Il faut cependant veiller à maintenir la fertilité de sol par des mesures telles que la rotation ou la culture mixte incluant des légumineuses, ou encore l’application de fumure organique, car le manioc peut entraîner un appauvrissement du sol, voire une érosion dans le cas de variétés à faible développement de feuilles.(Bell et al., 2000)
I.6. Exigences édaphiques
Le manioc préfère des sols meubles sablo-argileux ou argilo-sablonneux, profonds et riches en éléments nutritifs. On évite le terrain où l’eau stagne ainsi, que le terrain avec racines d’arbre hôtes de forme ligneuse sur lesquels sont établis les parasites (champignon responsable des pourritures des racines). En ce qui concerne le précédant cultural, on évitera les sols ayant porté une culture avec les mêmes exigences en éléments nutritifs. (Ex. manioc, patate douce, bananer, taro, etc.) (F.A.O, 2013).
I.7. Tolérance aux ravageurs
Deux des caractéristiques du manioc sont particulièrement avantageuses pour les paysans africains qui manquent de ressources : d’abord, le manioc possède une protection efficace contre beaucoup de ravageurs, y compris les acridiens et la chenille légionnaire (Spodoptera exempta), en raison de sa teneur en glucosides cyanogéniques. Pourtant, certains ravageurs, notamment la cochenille farineuse (Phenacoccus manihoti), l’acarien vert (Mononychellus tanajoa) et le criquet puant (Zonocerus variegatus) se sont adaptés à ce mécanisme de défense et attaquent facilement le manioc. Depuis le succès de la lutte biologique contre la cochenille farineuse menée par l’Institut International d’Agriculture Tropicale (IITA), le problème le plus grave a été résolu de façon durable et les autres ravageurs sont plus ou moins tolérables car ils ne causent pas de pertes totales. Ils contribuent toutefois dans l’ensemble au piètre rendement moyen du manioc en Afrique (environ 7,5 t/ha) par rapport au rendement mondial, qui est d’environ 10 t/ha. Le potentiel des variétés améliorées les plus productives se situe autour de 45 t/ha(Bell et al., 2000).