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INTRODUCTION

Le diplôme constitue, en toute logique, un atout majeur sur le marché de l‟emploi et, pour l‟employeur, un gage des connaissances acquises et un potentiel productif facilement employable par l‟entreprise (Boudabbous, Ali Mâalej, 2011). Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, le développement quantitatif de la scolarité comme objectif central de politiques de développement faisait quasiment consensus. La principale raison est que d‟une part, l‟éducation est l‟un des instruments principaux pour faciliter la mobilité sociale et pour rémunérer les compétences individuelles et d‟autre part, une force de travail plus instruite peut accroitre la croissance économique et supporter l‟efficience globale du système économique (Dolton et Vignoles, 2000). 

Par exemple, les travaux de Nauze-Fichet et Tomasini (2002) soulignent dans le cadre de la France qu‟un diplômé du supérieur a  une probabilité trois fois plus faible de  se retrouver au chômage qu‟un individu sans qualification, 3 ans après sa sortie dans le système éducatif. Pour une personne donnée, le fait de posséder un diplôme élevé protège contre le chômage et permet d‟obtenir un emploi qualifié. Cependant dans les situations de distorsion du marché du travail ou de crise, de nouvelles générations arrivant sur le marché du travail avec des diplômes de plus en plus élevés éprouvent des difficultés plus grande à trouver des emplois correspondant avec leur niveau de qualification (Giret et al, 2006 ; Nauze-Fichet et Tomasini 2002). En effet, dans le contexte de chômage de masse, les jeunes diplômés peuvent être conduits à accepter des emplois faiblement qualifiés éventuellement en renonçant à l‟orientation professionnelle à la quelle ils s‟étaient destinés. C‟est ce décalage entre le niveau de diplôme requis pour exercer un emploi et le niveau de diplôme des salariés ayant cet emploi que l‟on qualifie de déclassement (Nauze-Fichet et Tomasini, 2002 Skott,  2005 ; Groot, W. et  Maassen van den Brink, 1999). 

Cette situation dans la quelle un travailleur possède un niveau de formation supérieur à celui normalement requis pour l‟emploi qu‟il occupe explique un décalage dans la littérature qui traduit le déclassement aux origines de l‟économie du travail, situant le débat sur la valeur du diplôme (Fondeur, 1999 ; Duncan et Hoffman, 1981; Green, McIntosh et Vignoles, 1999; Hartog, 2000; McGuinness, 2006 ; Card, 1999; Borland, Dawkins, Johnson et Williams, 2000; Hartog et  Maassen van den Brink, 2007). Le déclassement se présente ainsi comme une forme de sous-emploi qui résulte d‟un déséquilibre qualitatif entre l‟offre et la demande de diplômés, l‟offre étant limitée par une pénurie d‟emplois qualifiés (Giret et al 2006).

Freeman (1976), l‟un des précurseurs des recherches sur le déclassement à l‟embauche  trouve  notamment que le taux de bénéfice pour un niveau de diplôme a significativement baissé aux Etats-Unis vers les années 70, et attribue cette baisse à un excès d‟offre des diplômés. L‟intérêt de ses résultats est qu‟ils remettent en cause la croyance selon la quelle un diplôme de l‟université représentait un investissement rentable et une garantie virtuelle du succès économique. Alors que Freeman (1976) a tendance à voir les disfonctionnements à partir de l‟offre de diplômés, d‟autres travaux comme ceux de Forgeot et Gauttie (1997) et Nauze-Fichet et Tomasini (2005) en France,  pointent la responsabilité des entreprises au travers de la demande de travail. Leurs  nombreuses interrogations concernent l‟influence de l‟âge, du genre, des origines sociales et ethniques, le rôle de la conjoncture économique et du progrès technique. 

Cependant, avec une vue néoclassique du marché de travail, McIntosh et Vignoles (1999) montrent que le déclassement  apparait dans le court terme comme un ajustement du marché de travail aux changements dans l‟offre ou la demande de travail.  En effet, ces auteurs soulignent que quand les conditions de la parfaite information et la parfaite mobilité des facteurs ne tiennent pas, les firmes arrivent à ne plus organiser le travail de manière à utiliser pleinement le capital humain d‟individus  si bien que les individus sont volontiers d‟accepter des travaux pour lesquels ils sont déclassés. 

De leur coté, Lindley et Mclntosh (2010), soulignent que les salaires des individus sont déterminés par leurs stocks de capital humain.  Pourtant, il est admis que les firmes ne paient pas des primes au capital humain qui n‟améliore pas la productivité de travail d‟un individu dans un travail donné. D‟où, les individus ayant un capital humain issu de l‟éducation qui est sous utilisé dans leur travaux courants (jugés suréduqués)[1] ne recevront pas la totalité des bénéfices de leurs investissements en éducation, en termes de salaires élevés. 

Alors que les travaux sur le déclassement à l‟embauche abondent dans les pays développés, en Afrique on en retrouve peu. Ben Hamida Zrelli Nadia (2014) a essayé d‟analyser la réaction du marché du travail sur la masse de l‟éducation supérieure en Tunisie. Elle trouve que la stabilité de l‟emploi, le secteur public et la rareté du diplôme possédé protège contre le risque de suréducation. Une étude similaire au Cameroun menée par Issofou (2015)  trouve que lorsque le système éducatif évalue mal les besoins futurs du marché du travail

(anticipations imparfaites), lorsqu‟il y a asymétrie d‟information entre employeurs et employés, ou encore pour des raisons conjoncturelles à l‟occurrence le chômage, la demande de travail peut être inférieure à l‟offre à un instant donné entrainant ainsi le déclassement.

En République Démocratique du Congo où on observe une pénurie d‟emplois qualifiés, où  la structure des diplômes n‟évolue pas au même rythme que celle des emplois, on a toujours considéré que les études étaient une sécurité et un tremplin sur l‟échelle sociale. Selon l‟UNESCO[2] (2008),  les années 2000 en RDC ont  été marquées par une forte politique éducative. La diversification de l‟offre de formation, dans le supérieur notamment, a contribué à l‟augmentation du nombre de diplômés, à l‟élévation des niveaux de diplôme, ce qui a provoqué un effet de concurrence entre les plus diplômés. Face à l‟augmentation des niveaux d‟étude, la croissance des emplois qualifiés n‟a pas été suffisante pour assurer l‟emploi des générations les plus diplômées. Selon la BAD (2012), sur 9000 jeunes qui sortent des universités congolaises chaque année, moins de 100 trouvent un emploi. Les plus diplômés accèdent, certes à l‟emploi mais ils sont souvent contraints d‟accepter des postes qui ne sont pas à la hauteur de leur niveau de formation. Le chômage a lui aussi contribué au phénomène de déclassement. Selon la Banque Centrale, le taux de chômage qui était de 59% en 2010, est passée à 65% en 2014 (Rapport BCC, 2014). Face à l‟augmentation du chômage chez les jeunes, ils ont choisi pour s‟en protéger d‟allonger la durée de leurs études, augmentant de ce fait le risque de déclassement.

La présence étude s‟inspire fortement des études antérieures et veut apporter la réponse à la question de savoir quel est l‟ampleur du déclassement à l‟embauche en RDC. 

Van den Brink (2007) souligne que la réalité et l‟ampleur du déclassement professionnel  sont controversées tout comme les interprétations que l‟on peut en faire. La pluralité des méthodes utilisées (auto-évaluation des travailleurs ou méthode subjective, analyse des emplois ou méthode objective, appariement réalisé ou méthode statistique) ne contribue guère à forger un consensus en matière d‟évaluation de l‟ampleur du phénomène (Scott, 2005 ; Guironnet, 2005 ; Maassen van den Brink, 2007), meme si certains auteurs comme  Lindley et Mclntosh,  (2010) ; Mcguinness, (2002) ; Forgeot, (1997) ; Nauze-Fichet, et Tomasini, (2002), et  Sicherman, (1991), pensent que l‟ampleur du déclassement professionnel serait forte durant ces dernières décennies   et ses déterminants seraient, entre autres, le genre,   le diplôme, le type de diplôme, la persistance d‟un chômage involontaire, l‟ancienneté sur le marché du travail, le type d‟entreprise, la taille de l‟entreprise, le secteur d‟activité de l‟entreprise, etc.

L‟objectif de ce travail est donc d‟évaluer le niveau du déclassement à l‟embauche en RDC ainsi que les facteurs qui lui sont sous-jacents.

Pour atteindre  son objectif,  cette étude prend appui sur les données de l‟enquête 1-2-3 effectué en RDC en 2005 et en 2012. Pour déterminer le niveau du déclassement à l‟embauche il  procède par l‟approche statistique  qui consiste à croiser dans une matrice de contingence, le niveau de diplôme et la catégorie socioprofessionnelle. Enfin le modèle logit multinomial permet de déterminer  les facteurs expliquant le déclassement à l‟embauche.

Ainsi l‟ensemble de ce travail s‟articule autour de trois chapitres. Le premier fait un aperçu sur la littérature se rapportant au concept « déclassement », le deuxième présente l‟approche méthodologique adopté et le troisième présente et discute les principaux résultats.

[1] Un individu est sur-éduqué si son niveau d’éducation (ou sa plus grande qualification) excède celui considéré comme nécessaire pour effectuer un travail quelconque. Alternativement, un individu dont l’éducation rencontre le niveau requis pour exécuter un travail est jugé « well-matched » et l’individu avec moins d’éducation que celle requise est sous-éduqué. Un exemple de la sur-éducation serait celui d’un licencié de l’université travaillant comme chauffeur dans une entreprise, il a indubitablement un capital humain de son grade qui n’est pas utilisé dans son travail actuel et, comme résultat, il gagne plausiblement moins qu’il devrait s’il était engagé dans un travail au niveau professionnel pour lequel il est qualifié.

[2] Voir Commission Nationale pour l’UNESCO (2008) : Rapport sur la République Démocratique du Congo, “ Tendances recentes et situation actuelle de l’éducation et de la formation des adultes”.

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