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1.2.2. Le recours à l’alternance codique.

Le recours au mélange de langues ans ces deux œuvres en étude n’est pas gratuit. Il relève non seulement du rapport que l’auteur entretient avec la situation plurilingue de la société dans laquelle il évolue, mais aussi de sa compétence basée sur les insertions, les collages, les interférences linguistiques et autres formes du dialogisme dont il est capable. Il importe de signaler que le recours au mélange de langue dans le cadre de ces œuvres traduit l’attachement de l’auteur à sa culture, mais aussi exprime son sentiment personnel en fonction de la situation linguistique de la population de son pays natal.

Dans Enfer mon ciel, nous retrouvons le mélange de langue lorsque l’auteur recourt, par le biais de son personnage, à une chanson du musicien connu sous le nom de Djofat-mwana Paris, surnommé Djofa-le-Parisien, qui chante les merveilles de Paris sous forme de réalisme d’une capitale congolaise:

              « Tembe ya Paris, (Paris de Paris)

                 Paris tembe natembe, (Paris de tous les Paris)

                 Paris ya ba zenga, (Paris de gens beaux)

                 Mboka minzoto, (ville aux mille couleurs)

                   Djofat-mwana-Paris,nokayemba Paris, (Djofat-Mwana-Paris, je chante Paris).

    Tata tika ngai na yemba Paris, (...) (Papa, laisse-moi chanter Paris).EMC.  p.51.

Dans cet extrait, le syntagme nominal « Paris de paris » traduit l’insatisfaction, la désolation ou mieux le chaos de Paris, en ce sens qu’il est un espace de vie où tout va mal. Nous y trouvons non seulement des chômeurs, la gouvernance en panne, mais aussi des sorciers. Donc, Paris est la capitale de tout ce qui est mauvais, capitale de tous les maux du monde.

Dans cet angle, Paris ne signifie pas la ville de France en réalité, mais il est un Paris du texte, une ville imaginaire, fictive symbolisant l’ailleurs, l’exotisme, le mirage des jeunes qui pensent que la solution de leurs problèmes, c’est la migration vers l’ailleurs.

Nous remarquons aussi ce type de mélange de langue à la page 123 lorsque l’auteur recourt à une chanson traditionnelle que l’on exécutait pour célébrer la mort de l’animal Elima Ngado comme suit :

« Ngando nyuma ya mayi, Ngando kolo ya mayi

Ngando somo na mayi, Ngando somo ne mboka

Lelo awei na zamba, Ngando nkoloya mayi (…)

(Caïman, bête des eaux, Caïman, maitre des eaux

Caïman horreur à la rivière, Caïman horreur au village

Aujourd’hui, il est mort dans la forêt, le maître des eaux) » EMC p. 123

Dans ce passage, l’auteur recourt à la chanson traditionnelle Zadilandaise, qui célébrait la mort de l’animal Elima Ngando, animal totémique du défunt l’immortel-Président qui était devenu l’emblème national.

Le contexte culturel est traduit par le registre animalier qui assimile l’homme à l’animal en se référant à son passé et son vécu quotidien

Dans Et voici le sorcier, l’auteur utilise le même procédé d’écriture lorsqu’il recourt à une chanson traditionnelle que l’on exécutait toutes les fois que se manifestait le cas de sorcellerie dans un quartier. C’est pourquoi il en a fait appel lorsqu’il peint cette même réalité dans ces écrits en ce sens :

« Tango mosusu ndoki ye oyo (Il semble que c’est lui le sorcier)

Ndoki ye oyo (C’est lui le sorcier)

Tango mosusu ndoki vieva (Il semble que c’est vieva, le sorcier)

Ndoki ye oyo (c’est lui le sorcier) EMC, p.14 et 15.

Cet extrait est une chanson exécutée par Mansanga et les enfants du quartier lorsqu’ils se rencontrent avec le vieux Vieva sur la rue. Le recours à cette chanson est, pensons-nous, l’inspiration de l’auteur à la vielle chanson de Lwambo Makiadi Pene Lokanga, Alias Franco de Mi Amor qui coïncide avec l’histoire de Nicky en chantant  un certain Luvumbu Ndoki.

Il se remarque par la suite dans ce même texte, le recours du personnage à sa langue culturelle lorsqu’il se trouve devant une maille de personnes de cultures différentes. Devant pareille situation, le recours à sa langue maternelle est en quelque sorte la mise en valeur de celle-ci en sous estimant celles des autres. Lorsque les Basimbi et les Balubanda étaient dans une cérémonie de Kanga Lupango (fermer la parcelle = doter) sous la présidence de Pelebaba, avant de commencer la cérémonie, Pelebaba ouvre le débat comme suit :

« Eh Basimbi mwabiuka. Mwaza kulondi kii ku Balubada ? (Salut les Basimbi.     Qu’est-ce que vous venez chercher chez les Balubanda ?) EMCp.84.

Dans ce passage, le recours au Kilega dans cette cérémonie opposant deux camps parlant des langues confondues, relève d’un aspect d’identité culturelle, c’est-à-dire qu’un Mulega s’exprimant en sa langue locale devant des individus de tributs confondues, prône la supériorité de sa langue sur les autres en face.

            A ce stade, nous remarquons dans ces deux œuvres que le mélange de langues est la conséquence du rapport que l’auteur entretient avec la situation plurilingue du pays, de la société dans laquelle il vit. (Le Lingala, le Kilega, le Kiswahili, le Kikongo…). Nous avons également remarqué d’autres  formes de réécriture qui traduisent l’insertion des langues nationales et des langues locales (dialectes) qu’on retrouve dans son espace de vie, entre autres : les insertions, les collages, les calques etc. En réalité, aucune motivation ne fonde le recours aux insertions, au mélange de langues dans la forme narrative de l’auteur, mais il peut s’agir, pensons-nous, de sa subjectivité pour exprimer le sentiment le plus vif qui l’habite parce que les émotions, les sentiments les plus vifs ne s’expriment mieux que dans sa langue maternelle, la langue que l’on maîtrise bien.

Au regard de ces occurrences sur les insertions, nous remarquons que le récit ne progresse pas de manière chronologique dans ces textes à cause des interruptions toutes les fois que l’auteur insère des nouvelles réalités sociales, c’est-à-dire qu’elles ralentissent le court du récit. Ces distorsions sont de l’ordre des anachronies narratives que Gérard GENETTE conçoit comme « les formes de discordance entre l’ordre de l’histoire et celui du récit » (1972 :79) Elles se manifestent dans ces œuvres par des télescopages et des chevauchements d’actions et des réalités auxquelles l’auteur recours. Malgré ces distorsions (télescopages et chevauchements), ces insertions sont partie prenante de la narration parce qu’elles concourent à la compréhension globale des textes et reflètent la complexité du temps romanesque.

  • Les idiomes

      Dans cette partie, nous étudierons les expressions figées des langues dans ces deux œuvres en étude, c’est-à-dire, un langage particulier et similaire à la langue spécifique de la communication du texte dont le sens ne peut être déduit que par la combinaison des mots employés dans le texte ou par l’auteur lui-même.

Nous tentons donc de cerner les idiomes du Lingala, du Kiswahili, du Kilega et ceux d’autres langues étrangères au texte qui sont tous des traces interculturelles introduits dans ces œuvres pour véhiculer les valeurs culturelles.

  • Les idiomes dans EMC.
  1. Bula-matari :

« Ce lieu est symbolique par les habitants de Kibourg, car c’estici que, il y a plus de soixante ans la police coloniale avait massacré un groupe d’indigènes révoltés contre le plan Bula-Matari qui renvoyait l’indépendance aux calendes grecques » p.14.

Ce nom composé (bula-matari), renvoie à un événement marquant du Zadiland ou de la ville de Kobourg : « massacre des indigènes qui se révoltaient contre le plan qui revoyait l’indépendance aux calendes grecques » qui n’est pas censé être oublié et cela de génération en génération. En réalité, ce nom renvoie à la construction du chemin de fer de Matadi-Kinshasa. C’est donc une identification du pays, le Zaïre de l’époque connu sous trois réalités : Zaïre : = pays = monnaie= Fleuve. Il signifie selon ce projet, casseur des pierres (rochets).

  1. Muzungu

« Je souhaite que tout se calme vite pour que ma famille et moi nous revenions. J’étais chez moi ici. J’ai été scandalisé quand. J’ai entendu des soldats m’appeler Muzungu, je ne suis pas blanc, ni étranger ici, moi. Tous ces soldats ont moins de quarante ans. Moi, je suis né ici il y a plus de cinquante ans. Je suis plus Zadilandais qu’eux. P.18.

Dans cet extrait, la dénomination Muzungu renvoie à un étranger, un non originaire du Zadilande. Les soldats ont raison d’appeler ce monsieur  Muzungu parce que ses parents sont belges, mais qui vivent au Zadiland. Le sens de Muzungu ne peut s’entendre que dans le contexte du texte parce qu’en réalité cet anthroponyme signifie en Kiswahili : toute personnede la race blanche. Il s’emploie également pour désigner une personne qui vit bien, propre, qui paye bien, etc. Ex : Kiswahili uyo ni Muzungu, halombaki kitu.

  1. Kibourg : (la-poubelle)

« Sang qui coule, rivière qui ne coule. Kibourg jadis la-belle, kibourg aujourd’hui la-poubelle,… » p.19.

Ce toponyme est la capacité du Zadiland. Au paravent, ce toponyme avait une connotation positive (la-belle), mais aujourd’hui négative (la-poubelle). La variation de sens (kibourg la-belle) et (Kibourg la-poubelle) est rendue par le préfixe nominal Ki.

Dans Kibourg la-belle, le préfixe nominal Ki confère au radicalbourg le sens positif : grandeur, digne d’admiration, qui élève bien,… Tandis que dans Kibourg la-poubelle, le préfixe nominalKi confère  au radical un sens négatif : un espace mal géré, une ville où règne  le chaoinsupportable. Dans ce sens, Kibourg la-poubelle dont on parle dans ce  roman, renvoie à cette capitale, ville où règne toute sorte de désordre, massacre, chômage, muselage, etc.

  1. Ngounda

« Tu te vois souvent avec Prosly ? Quel Prosly, ton ami avec qui vous étiez au séminaire ? Ah ! Celui-là c’est un véritable Ngounda » p.47.

Ngounda est un anthroponyme du Lingala qui signifie « rat de Gambie » qui s’infiltre dans des habitions à l’insu de leurs propriétaires. Il renvoie à toute personne qui vit à l’étranger sans titre de séjour, c’est-à-dire sans papier, sans personnalité civile, sans domicile fixe.

Ces étrangers sans papier ont en commun avec les rats de Gambie un caractère instable, la non liberté de vivre ses veux. Ils circulent dans toute la ville, à la recherche des maisons non habitées pour qu’ils s’y installent et cela sans autorisation de qui que ce soit.

  1. Ndaku ya pwa

« Comme tu n’arrives pas à comprendre que ton ami ne veut pas que tu vois là où il vit. Si jamais il voulait que tu voies chez lui, il allait venir te prendre lui-même pour la première fois (…) -Mais pourquoi, Jipé me cachait-il sa maison ? C’est un ami, un véritable ami. -Ah ! qui sait… Il réside peut-être dans une Ndaku ya pwa. » pp. 58 et 59.

Ce syntagme résulte du Lingala qui peut se traduire littéralement en français par « maison de poids ou maison prise de force ». Ce type de maisons renvoient à une réalité de la ville où les grandes et bonnes maisons appartiennent aux riches et les petites et mauvaises aux pauvres et aux gens n’ayant pas de domicile fixe. Dans ce sens, les Ndaku ya pwa signifient en ville, maison vétustes, sans forme…dans lesquelles habitent les personnes sans domicile fixe, ils y logent selon les saisons.

  1. UNAZA

«Depuis, le général Delapoz comme beaucoup d’autres officiers supérieurs de l’UNAZA, n’était plus général que de nom » p.99.

Ce sigle renvoie à une université du Zadiland portant le titre (nom) d’Université Nationale du Zaïre. Ce nom devient un idiome dans ce roman, lorsque le narrateur fait un déclic en désignant par ce nom, les géants officiels qui ont fini à cette unique université de l’époque dans le pays. C’est-à-dire que le narrateur utilise le nom d’une université pour désigner ses étudiants.

  1. CROCOZAT

« J’avais accepté d’aller, pour la première fois, à l’assemblée spéciale de CROCOZAT, car je me sentais concerné par l’ordre du jour » p.117.

Ce nom est une abréviation de l’association des Zadilandais de Tolosa qui réunissait les  zadilandais chaque dimanche pour discuter de chaque problème inhérent à la vie des ressortissants de leur pays et à l’évolution de leur pays d’origine. Il renvoie dans ce texte à une petite hutte à palabres où ils se rassemblaient. Dans celle-ci, ils pouvaient ainsi se réconcilier entre eux en cas de conflit, débattre sur des thèmes de leur pays…

  1. Ngando

« Ngando nyuma ya mayi, ngando ndolo nkolo ya mayi,

Ngando somo na mayi, ngando somo na mboka » p.123.

Ngando est un nom du lingala qui signifie en français Caïman ou une bête aquatique ou montre des eaux, qui sème l’honneur à la rivière et au village. Ce nom renvoie dans un premier temps à l’animal totémique Elima Ngando de l’immortel président qui était devenu l’emblème national. Dans un second temps, il renvoie au président lui-même en référence de sa manière de diriger, son imposition, sa dictature. Il sème la terreur au pays comme le caïman le fait dans l’eau.

  • Les idiomes dans « Et voici le sorcier »
  1. AFDL :

« La petite église de la rue Niangara dans la commune de Ngiri-Ngiri mérite son nom : Assemblée des Fidèles de Dieu Libérateur, en sigle AFDL »p.44.

Ce sigle désigne le nom d’une église où les femmes ont, non pas seulement de rôle à jouer, mais aussi elles occupent la première place. Dans celle-ci, la plupart des hommes ont été amenés par leurs épouses et sont au service des femmes. C’est une église qui se révolte contre toutes les autres églises (Catholique, Protestante Islam, Kimbanguiste, etc.) qui mettent l’homme à la première place et il n’y a que lui qui a le rôle important à jouer. La mission de cette église est la libération de la femme contre toutes les servitudes de l’homme.

En réalité, AFDL renvoie à une force de révolution connue sous le nom de : Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo, vers les années 1996-1997. C’est un mouvement de la révolution perpétré par Désiré Kabila contre la gouvernance de Mobutu.

  1. Mama na bongo.

« Il arrive même que papa Lusamaki aille loin dans les éloges qu’il fait de sa femme en ajoutant qu’elle est même la mère de ses nombreuses autres femmes. Aussi dans la famille, pour la taquiner, on l’appelle « mama na bongo » »p.44.

Ce syntagme nominal du lingala renvoie à la première femme d’un homme polygame. Cette première femme est considérée comme la mère de toutes les autres femmes, même la mère de son mari parce que celle-ci est la plus aimée de toutes, pas parce qu’elle était belle, mais plutôt parce qu’elle est la seule que sa mère lui avait mariée quelques temps avant sa mort. Mais aussi parce que c’est celle-ci qui avait remplacé sa mère, c’est-à-dire, tout l’amour, tout union qu’il avait envers ou avec sa mère était transféré chez son épouse après le départ de la mère.

  1. Le diable et la bête :

« -Alors, dis-nous ; docteur, notre ami Ludoviko a attrapé qui ?

-Le diable et la bête, dit l’homme, en riant encore plus fort. »p.60.

Cette association (diable et bête) est un jeu des mots qui met ensemble les noms Diable et bête, puis on enlève le blé qui les sépare comme céréale, afin d’obtenir un seul nom désignant une maladie qu’on appelle diabète. C’est-à-dire que la combinaison du Diable et de la bête donne le diabète. Or en réalité, le diabète comme maladie n’a rien à voir avec cette association des noms. C’est pourquoi dans ce texte, lorsque la femme de Ludoviko l’avait annoncé au pasteur, celui-ci avait fait directement allusion aux esprits maléfiques, la ligue du diable et de la bête selon ce que la bible nous révèle pour le jour d’Armageddon.

  1. Kaka-bongo

« Il était donc entendu que Ludoviko ne retournerait plus chez le docteur Declerc, mais irait désormais chez le docteur Kaka-bongo, membre de l’équipe de discernement et de délivrance de l’église »p.68.

L’anthroponyme composé kaka-bongo relève du lingala qui signifie en français « c’est ça » ou « n’est-ce pas ça ». Il est une affirmation ou une locution, marque de question-tag. Ce docteur était surnommé kaka-bongo, parce que ce mot apparaissait à la fin de tous ses discours, en priant comme en échangeant avec ses familiers. C’est-à-dire que son stylème est kaka-bongo et celui-ci désigne finalement son nom.

  1. Match nul :

« Il a pris la beauté de sa mère disent les femmes.

Il sera géant comme son père, commentent les hommes.

Match nul, acclament les jeunes gens. Dans les camps des femmes on se lance des mbwakela (propos désobligeants comme elles savent le faire »p.32.

Ce syntagme relève du français qui renvoie à la victoire de maman Fwatu qui, depuis  longtemps faisait la risée de tout le monde parce qu’elle n’arrivait pas à mettre au monde. Elle qui ne mettait pas au monde, désormais elle se lave de l’opprobre en donnant naissance à un enfant garçon qu’elle nomme Diem. Tous ceux qui étaient ses ennemis et autres détractrices ont de quoi pleurer en se posant trop de questions sur la maternité de celle-ci. Dans  le camp de maman Fwatu, c’est la victoire, un match nul parce qu’elle vient de répliquer aux attaques  de ses adversaires, mais aussi parce qu’elle était déjà vaincue. En réalité, cette expression est puisée du langage des sportifs. Elle s’utilise lorsqu’un match se solde à un score égal entre les deux  équipes. Elle signifie dans ce sens, égalisation.

  1. Illico presto :

« Etudiant à l’Université Lovanium, j’étais financé à une jeune fille kinoise, mais lorsque j’étais parti en congé au village, ma mère me supplia non sans larmes aux yeux, de prendre Achezake, la fille de son amie, pour laquelle elle avait déjà versé une dot en ma faveur. Le mariage fut organisé illico presto parce que nous devrions voyager ensemble pour Kinshasa. » p.55.

Cet adverbe composé résulte du latin « illico presto » signifiant immédiatement, sur-le-champ. Le narrateur recourt à cet adverbe (expression) lorsqu’il explique le contexte dans lequel son mariage s’est organisé et le pourquoi de son voyage quelque temps après son mariage. Compte tenu de son séjour très limité parce qu’il était en congé et de la surprise que sa maman lui a faite, il accepte que le mariage se fasse, mais en tenant compte de son séjour parce qu’il ne voulait pas accuser grand retard à son travail. D’où l’expression illico presto.

  1. Kokanga Lupango

« Le Lundi, soit le lendemain de son arrivée, la famille du prétendent viendra faire la cérémonie qu’on appelle  kokanga Lupango » p.77.

Ce syntagme relève du lingala qui renvoie à une cérémonie dans laquelle la famille du fiancé et celle de la fiancée se rencontrent pour une prise de contact officielle entre la fiancée et son fiancé. C’est-à-dire que c’est une cérémonie au cours de laquelle le fiancé annonce à la famille de sa fiancée sa déclaration de leur jeune fille en mariage. C’est à cette occasion que la famille de la fiancée présente à la famille du fiancé le détail de la dot. Dans ce sens, kokanga lupango pour la famille du fiancé, est un signe qui veut ainsi dire à la famille de la fiancée que : désormais, votre fille est fiancée de notre fils ; nous ne voulons plus ni entendre, ni voir un autre garçon à ses côtes à part notre fils et que personne d’autre ne pourra se présenter comme fiancé à celle-ci. Cette réalité est vécue dans plusieurs cultures africaines et se nomme plutôt présentation. Le syntagme du lingala (kokanga lupango) traduit littéralement en français « clôturer la parcelle » trouve sa signification dans le fait de limiter la fréquentation de la jeune fille (fiancée) par les autres garçons, protéger la fille contres toutes les autres sollicitations ultérieures.

  1. Nyama moke nde ekotaka na lisu.

“-Oh! Ce n’est rien du tout, un simple bonjour mis dans une enveloppe. Quand tu arriveras, tu verras. -Comme disent les gens d’ici : Nyama moke nde ekotaka na lisu c’est la petite bête qui entre dans l’œil » p.85.

Cette expression relève du lingala, employé dans le domaine de la morale lorsqu’on conseille les gens de ne jamais négliger quelque chose, petite soit-elle. D’ailleurs, ce sont des petites choses qui coutent cher aux humains parce que simplement on les néglige.

L’auteur recourt à cette expression lorsqu’il présente une situation où un jeune homme du camp de Basimbi plonge sa main dans sa veste et il en sort une enveloppe qu’il directement dans la poche de son interlocuteur du camp de Balubanda, sans que celui-ci ne vérifie, ni ne se mette d’accord avec celui qui lui remet l’enveloppe. C’est ainsi que son interlocuteur, rigoureux qu’il était, l’arrête en disant : « - Eh Musimbi, pas si vite. Tu veux me piéger ou quoi ? C’est quoi juste ta chose-la ? Qui sait si ce n’est pas un serpent ? (…) » Et V.S. p85

  1. Lungo

« La fille se tourne vers le garçon, sans dire un mot, et les femmes de deux camp acclament de nouveau. Faisant signe au fiancé de se lever, le porte-parole des Balubanda indique alors à la fille l’enveloppe mise sur un van fait de natte que les Balega appellent Lungo. »pp.88 et 89.

Dans ce passage, Lungo (van) renvoie chez les Balega à un ustensile culturel sur lequel la famille de la fiancée, dans une cérémonie de Kanga Lupango, dépose une lettre contenant le détail de la dot et les conditions nécessaires à remplir pour épouser leur jeune fille. En pleine cérémonie, on demande à la jeune fille (fiancée) de soulever le Lungo (van) sur lequel se trouve l’enveloppe, et de le remettre à son père. Cela témoigne que la fille aime bien son fiancé, et autorise son père à prendre sa dot. Cela étant, le père de la fille à son tour le confie au fiancé de la jeune fille et enfin du fiancé à son père.

Ce signe culturel n’est pas gratuit, il témoigne un engagement strict entre les parents de deux familles et par ricochet, entre les deux fiancés.

  1. Kanga Libumu

« Mais voilà, qu’un jour un gros magnant Pakistanais est venu investir dans le pain en installant une boulangerie super-industrielle qui produit les fameux « Kanga Libumu (fermer le ventre) (…..) » p.112

Ce syntagme relève du lingala pour signifier littéralement en français « fermer le ventre ». Il renvoie dans ce texte, à une sorte de pain produit dans la boulangerie super-industrielle du magnant pakistanais. Ce pain était ainsi nommé en référence de sa composition de manière à satisfaire tout le monde. C’est un pain tellement consistant que, lorsqu’on en mange le matin, on passe toute la journée sans avoir faim, c’est-à-dire qu’il donne une certaine garanti de rassasiement « ferme le ventre » à celui qui en prend.

Cette expression correspond à celle de Kanga journée qui se fait entendre actuellement dans la ville de Bukavu et à l’est de la RDC lorsqu’on désigne une sorte de pain ou beignet d’une quantité énorme.

            Au regard de ces occurrences des idiomes, l’élément impressionnant dans ces deux œuvres est l’emploi similaire et rapproché de termes qui convergent presque tous à la même logique, celle d’exprimer les réalités culturelles en terme d’image.

Nous remarquons également que le vrai dialogue en Français, basé sur la communication des valeurs culturelles exige de consciences et de connaissances fortes qui ne peuvent exister ni s’exprimer véritablement que par l’entremise d’une langue d’emprunt, appropriée à telle ou telle autre valeur culturelle. C’est pourquoi, pensons-nous, certains écrivains (poète, romancier, essayiste, etc.), pour rendre le plus parfaitement possible les valeurs d’une société, préfèrent écrire dans la langue qui véhicule ces réalités.

CONCLUSION PARTIELLE

Ce chapitre s’assignait comme objectif de déceler les traces d’interculturalité exprimées dans diverses facettes. Pour y arriver, nous avons analysé  les éléments voyageurs en se basant sur les emprunts de diverses réalités sociales se présentant comme des thèmes récurent dans la société de ce texte en étude.

Ces emprunts supposent donc le recours aux réalités locales, le recours à l’alternance codique et les idiomes présentant de ressemblance et /ou de rapprochement des œuvres en étude. Il s’agit des faits linguistiques, syntaxiques et sémantiques qui attestent une vie antérieure. Pour le recours aux réalités locales, nous avons constaté que l’auteur décrit les réalités de sa propre société de tous les jours et la conception que celle-ci se fait de ces dites réalités. Il s’agit donc du rêve, la sorcellerie, les paradoxes, les mythes, etc.

Quant à l’alternance codique, elle renvoie à la compétence de l’auteur à utiliser plusieurs langues autres que la langue de son texte. Dans ce contexte, c’est le recours aux langues étrangères considérant le français comme étant la langue première du texte. L’auteur recourt à l’alternance codique lorsqu’il présente les réalités véhiculant un message de portée culturelle qui ne s’expriment véritablement que par le recours aux emprunts de langue propres à ces dernières.

Pour ce qui est des idiomes, l’auteur recourt aux mots, aux syntagmes imagés de langues étrangères et surtout congolaise pour souligner l’aspect identitaire de ces réalités culturelles.

Au regard de ce qui précède, nous avons remarqué que l’univers d’expression des réalités culturelles de Sébastien Muyengo M. est fortement marqué par la subjectivité. A la lecture de ces œuvres en étude, on sent véritablement un assemblage  de réalités culturelles qu’il vit ou qu’il a vécues et aussi des faits linguistiques qu’il manipule au quotidien.

Nous avons enfin remarqué que les traces ou les interculturels sont manifestés, non seulement par les éléments voyageurs, les emprunts, les idiomes, le mélange des langues, mais aussi l’appartenance de ces œuvres à un même auteur. 

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