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PREMIER CHAPITRE : CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE

Nous nous proposons, dans ce chapitre, de définir les termes clés du sujet de notre recherche avant de circonscrire notre méthodologie de travail. Ce chapitre pourra expliciter dans le cadre théorique, les termes comme l’écriture, de la lecture et de la réception et du discours, récit, auteur, narrateur, narrataire, lecteur.

En ce qui concerne le cadre méthodologie, il présentera les perspectives d’analyse sémiostylistique où nous ferons un choix de modèle avant de le clôturer par une brève présentation de l’auteur et son œuvre.

I.1. Cadre théorique

Dans cette partie du travail, nous allons parler essentiellement de l’écriture en général, de la lecture et de la réception, de sémiostylistique, du discours, etc.

I.1.1. De l’écriture en général à la marque de Jean Bofane

Notre but n’est pas de donner les détails de l’écriture à travers ses aspects graphémologiques et grammatologiques, mais de scruter l’inscription d non li*ttéraire dans un modèle littéraire précisément l’écriture de Bofane. Pour ce faire, nous nous proposons de faire un survol des quelques notions sur l’écriture, envisagée beaucoup plus dans sa relation avec la littérature et le style.

C’est sous cet angle que nous essayons de cerner la littérature africaine d’expression française en général et la littérature congolaise en particulier, en tant que creuset explicatif de certains repérages rencontrés dans notre corpus (l’écriture, l’ironie, l’humour…).

C’est pour cette raison que nous nous proposons de définir d’abord l’écriture.

I.1.1.1. Qu’est-ce que l’écriture

Pour répondre à cette question, J.M. Klinkenberg, cité par Muhasanya (2013 :43), répond en disant qu’il est établi que l’écriture constitue un mode de représentation de la parole et de la pensée par des signes graphiques destinés à durer, et qu’elle demeure « un puissant facteur de standardisation et d’institutionnalisation » du langage.

 Ce transcodage particulier, qui brise la volatilité, la fugacité ainsi que le faible rayon d’action de la parole, et qui est investi de valeurs sociales et religieuses considérables, en dépit (du préjugé) de sa secondarité ou de sa vassalité par rapport au verbal (J-L Chiss et C. Puech, 1997 :83-84), ajoute au caractère chronosyntaxique du signe linguistique la dimension toposyntaxique (voir monosyntaxique) de la visualisation(J-M. Klinkenberg, 1996 :119).

Ainsi, J.M. Klinkenberg, cité par Muhasanya (ibidem), opère dans son Précis de sémiotique générale, une synthèse qui reprend la classification d’Istrine dans laquelle il incorpore les rapports de J. Derriva et de Michel Foucault. Les fonctions graphémologiques (c’est-à-dire qui permettent de présenter la langue) mobilisent les signes phonographiques, idéolographiques, et thématiques. Les fonctions grammatologiques (qui cernent la matérialité de l’écriture et renvoient à autre chose que la langue) renferment les signes indexicaux, taxonomiques ou topologiques, symboliques, indiciels et iconiques (1996 :171-176).

I.1.1.2. Ecriture et littérature

Pour essayer d’établir les rapports entre la littérature et l’écriture et les divergences qui les opposent, nous allons nous appuyer sur les contributions d’Anne Maurel, de Muhasanya, de Barthes, etc.

Quant à Muhasanya (ibidem), en dépit du fait que l’aspect utilitaire ne constitue plus l’absolu littéraire, ne soit plus pris, tout au moins, dans son sens courant, les données énoncées ci-haut sont, en effet, capitalisables dans la sphère littéraire (et ou stylistique). Certes, la littérature, poursuit-il, opère une dérivation par rapport à la réalité, une transsubstantiation qui consacre l’hypothèse du signifiant et du signifié.

Mais, Anne Maurrel l’indique si bien dans La critique (1994, 1998), à travers la synthèse qu’elle élabore, une synthèse qui, tout en faisant le joint avec les points de vue linguistique et sociologique, permet d’appréhender la littérature à travers ses métamorphoses (vraies et/ou fausses) ainsi que ses propres remises en question.

Enfin, ce regard sur l’écriture comme expression d’une décision ne saurait se départir du style. Il s’agit des réalités inextricablement liées qui permettent de rendre la singularité ainsi que le cachet d’une œuvre donnée.

En effet, le modelage opéré en littérature tient compte d’une volonté liée « au corpus », au contexte et à l’histoire du scripteur ainsi que l’a constaté R. Barthes. Sous cet angle, l’écriture, en plus de sa dimension documentaire, et de l’attestation de la parole, renvoie à la manière particulière d’écrire un message, à ce qui fait que Jean Bofane soit différent de Mudimbe.

I.1.2. Les couples auteur/narrateur, lecteur/narrataire

Nous avons jugé de distinguer ces couples parce qu’il  n’est normal de confondre.

I.1.2.1. Le  couple auteur/narrateur

Yves Reuter donne  la distinction suivante :

L’écrivain est l’être humain qui a existé ou existe, en chair et en os, dans notre univers. Son existence se situe dans le « hors texte ». De son côté, le narrateur-qu’il soit apparent ou non –n’existe que dans et par le texte , au travers de ses mots. Il est, en quelque sorte, un énonciateur interne : celui qui, dans le texte raconte l’histoire.(2007 :11-12).

I.1.2.2.Le couple lecteur/narrataire

Le lecteur est l’être humain qui a existé, existe ou existera, en chair et en os dans notre univers. Son existence se situe dans le « hors texte ». De son côté le narrataire-qu’il soit apparent ou non-n’existe que dans et par le texte, au travers de ses mots ou de ceux qui le désignent. Il est celui qui, dans le texte, écoute ou lit.(2007 :12).

I.1.3. Théorie de la lecture et de la réception

L’esthétique de la réception, fondée par l’école de constance et principalement par Hans Robert Jauss, au milieu du XXesiècle, fait du lecteur un protagoniste essentiel de la communication littéraire.

Cette période a été témoin du foisonnement des théories de la réception suite à l’attention accordée à l’activité de la lecture et à l’interprétation des textes littéraires. Dès lors, le lecteur se trouve au cœur des préoccupations des études littéraires ; sa réception de l’œuvre littéraire est mise en considération dans l’analyse de cette dernière. Le lecteur, en participant à l’actualisation du sens de l’œuvre, et en déployant son système de normes esthétiques sociales et culturelles, s’emploie à déclencher le processus de la réception et la concrétisation de l’acte de lecture.

La théorie de la lecture et de la réception, revenons-y, se veut un courant de la pragmatique interactionniste appliquée à la littérature. C’est-à-dire, il s’agit d’une perspective de la critique littéraire qui accorde l’attention à la dimension de l’effet produit par une œuvre et du sens que lui attribue un public.

Le concept de « réception » est bien compris tout en tenant compte de ce point de vue d’Antoine Compagnon selon lequel « sous le nom d’étude de réception, on songe à l’analyse plus étroite de la lecture comme réaction individuelle ou collective du texte littéraire » (1988 :173).

Ceci s’explique par le fait que la réception est la prise en compte du point de vue du lecteur dans le processus littéraire. Ce dernier donne vie à l’œuvre littéraire par le sens qu’il dégage et la signification qu’il lui donne.

Sans cela, l’œuvre littéraire est considérée comme « inerte », sans «âme » et sans « vie ». Ainsi, en parlant de réaction, on revient sur le fait que la lecture n’est pas seulement la réception des textes par les lecteurs, mais aussi les actions de ces derniers sur les textes. Et c’est donc avec raison que Schmitt et Viala, cités par Bazibuhe (2015 :15), déclarent :

La lecture n’est donc pas seulement réception des textes, mais actions sur eux : si passive qu’elle soit, elle en construit le sens, les jauges et les juges. Une lecture de curiosité, de découverte une lecture active-équivaut à un travail parallèle à celui de l’écriture et tout aussi important.

Sans nous attarder sur la conception du lecteur dans la théorie de la réception, retenons quand même que Gardes-Tamine et Hubert Marie définissent le lecteur de la manière suivante :

Le lecteur désigne autant celui qui lit (ce sens apparaît dans le XIV e siècle) pour son propre compte, pour s’instruire ou pour le plaisir que le professionnel de la lecture-clerc qui lit à haute voix ou correction d’épreuves typographiques. ( 2001 :33).

Nous retenons de cette définition que le lecteur renvoie à toute personne qui exécute l’action de lire, quel que soit son objectif ou ses motivations et que l’écriture d’une œuvre par un auteur n’est donc pas un moment complet. Si l’auteur savait qu’il existait seul, il pouvait  écrire de n’importe quelle manière. Le lecteur joue ainsi les fonctions essentielles dans l’analyse des textes narratifs.

Tels sont les repères théoriques qui nous permettront, dans la partie qui suit, de mettre sur pied un protocole méthodologique qui nous facilitera de découvrir tous les mécanismes nécessaires de la sémiostylistique dans notre corpus, Congo Inc. Le testament de Bismarck de Jean Bofane.

I.1.4. Le  discours

Du point de vue pragmatique, le discours est considéré comme une unité linguistique constituée d’une succession de phrases.

I.2. CADRE METHODOLOGIQUE

Les théories évoquées ci-dessus nous conduisent à recourir principalement à l’approche sémiostylistique. Mais à celle-ci, nous allons recourir à d’autres méthodologies ou approches complémentaires notamment la stylistique et la pragmatique. De ce fait, nous allons d’abord définir les différentes orientations avant de parler de leur opérationnalité.

I.2.1.  Sémiostylistique

Avant de développer ce point nous allons d’abord préciser que nous avons recouru à quelques ouvrages de base qui nous ont permis d’éclaircir la sémiostylistique avec précision. Il s’agit du livre de La stylistique de Molinié publié en 1993 ; Approche de la réception : sémiotique et sociopoétique de Le Clézio, ouvrage écrit par Molinié et Viala en 1993 et à l’ouvrage  Aspects de la littéraité dans l’œuvre romanesque de Yodi Karone. Lecture sémiostylistique. C’est une thèse qui a été défendue  en 1998 par Désiré Dieu Béni NYELA.

La sémiostylistique est une approche critique orientée vers  le pôle de la réception. G. Molinié  en est le concepteur. C’est  à Michaël Riffaterre que le mérite revient d’avoir orienté l’analyse stylistique vers le lecteur. Cette démarche stylistique révolutionnaire s’oppose à celle qu’était, jusque-là, en vigueur et qui privilégiait l’écrivain et ses desirata.

Ainsi, d’une « stylistique des intentions » on est passé notamment avec Riffaterre et Molinié ,à une stylistique «  des effets », attentive à l’effet du texte sur le lecteur.

Justifiant cette option pour le compte de leur œuvre collective, Alain Viala écrira ceci : le lecteur fait le texte. Il y projette ses images, y trace ses chemins dans les entrelacs des significations possibles. Mais dans l’écriture même, l’image, est un rouage essentiel à la machinerie de la création littéraire. Ce sont des entrelacs et ces rouages que l’on a voulu commencer à explorer, à décrire, à faire dialoguer.

Pour G. Molinié et A Viala, auteurs des approches de la réception, le texte littéraire est essentiellement discours, et,  comme tel,  il ne peut être ni reçu sans avoir été produit, ni produit sans avoir été destiné à être reçu.

Aussi, il importe de noter que, dans son approche méthodologique, la sémiostylistique exige d’être analysée  avec une attention particulière, tant à l’émetteur qu’au récepteur.

L’importance accordée à l’approche sémiostylistique du phénomène littéraire a permis, depuis les années 80, un renouveau théorique de la stylistique.

Philippe Hamon et G. Molinié sont les deux principaux stylisticiens à l’origine de ce mouvement. Voici les postulats sémiostylistiques formulés par deux stylisticiens. : « Le terme de sémiostylistique est à restituer par rapport à deux autres termes, sémantique et sémiologie. Le sens de ces mots a considérablement varié d’un auteur à l’autre qu’il y a lieu de considérer celle-ci comme « sémiotique du littéraire ». A partir de ce postulat, le souci majeur de G. Molinié était de créer une discipline littéraire qui arrive à concilier la stylistique et la sémantique. 

Ainsi se plaisait-il à argumenter :

« La sémiotique s’attache aux structures fondamentales de la représentativité contextuelle. C’est le stylisticien qui commente ainsi. La substance du contenu n’est donc pas considérée idéalement, mais en fonction des formes occurrentes possibles, lesquelles ne sont réalisables que dans la forme de l’expression (et ainsi, bien sûr, à travers la forme du contenu) : la matière stylistique est donc proche. Et la question de la représentativité contextuelle est la question de la significativité de telle ou telle littérarité » (1998 :7).

Tirant la conséquence directe de son analyse, G. Molinié opte pour la sémiostylistique, méthode d’approche stylistique des textes littéraires prenant précisément en compte des préoccupations qui ne relevaient, jusque-là, que du domaine de la sémiotique. Comme la stylistique, la sémiostylistique étudie « les composantes formelles du discours littéraire : la littérarité, c’est-à-dire, le fonctionnement linguistique du discours littéraires » (1993 :8). Comme sémiotique, elle a pour objet « l’analyse des processus de réalisation ou de manifestation de la valeur des signes et, (…), propose des modèles de symbolisation de ces processus (1993 :9) ».

  1. Molinié recommande que tous les faits stylistiques repérés et répertoriés par le stylisticien soient organisés en niveaux ou en réseaux. Ainsi, a été envisagée la stylistique actantielle, que nous allons aborder dans le deuxième chapitre, qui étudie la hiérarchie et l’architecture de systèmes des actants de l’énonciation.

La sémiostylistique est bien une stylistique : elle scrute les lignes d’une esthétique. Pour deux raisons essentielles. On cherche à construire des modèles de fonctionnement et d’interprétation. La sémiotique est d’abord, et très largement, la modélisation des structures abstraites de la signification. Et l’on cherche à rendre compte de la significativité du discours considéré. Or, on a besoin, ajoute Molinié (1993 :9), plus que jamais, de l’émergence d’une sémiotique, disons ; second niveau, qui aurait pour tâche de formaliser les schémas de la représentativité des objets de culture ; il serait utile de pouvoir conceptualiser avec rigueur les présupposés des rapprochements idéologiques, esthétiques qui sont à la base de l’exemplarisme d’Auerbach, cité par Molinié (1993 : 10). Cet exemplarisme on le sait, pose la question fondamentale de toute critique littéraire profonde. C’est surtout W. Bejamin (cité par Molinié) (1993 :10) qui a établi avec éclat, et de manière explicite le travail de l’analyse dans son domaine royal, détecter et décrire les linéaments formels d’une esthétique, et expliquer leur relation spécifique avec un univers idéologico-culturel particulier.

Cette option poursuit-il, implique la satisfaction, à tout le moins, la conscience, de nombreuses exigences auxquelles il faudrait idéalement répondre. Bref, le discours littéraire a pour matériau le langage.

I.2.1.1. Le discours littéraire et ses composantes définitionnelles.

La marque de la  littérature est soumise à la réalisation simultanée des trois conditions suivantes : le discours littéraire constitue son propre système sémiotique, il est son propre référent, il se réalise dans l’acte de désignation de l’idée de ce référent.

I.2.1.1.1. Le discours littéraire constitue son propre système sémiotique

Désiré Nyela (1998 :19) va dire que Molinié avait pris ici pour point de repère le cadre théorique du linguiste L. Hjelmslev, qui, dans sa théorisation, indique une quadripartition : l’expression et le contenu et dans chaque niveau, la forme et la substance.

On a donc, selon une imagination, voire fantasmatique, remontées du plus profond au plus manifeste : la substance du contenu, la forme du contenu, la forme de l’expression, la substance de l’expression.

Molinié ajoute (1993:18) que dans la substance du contenu, on trouve les idées et l’anecdote, c’est-à-dire plus simplement ce dont on parle ; dans la forme du contenu, on range les sélections génériques (une tragédie ou un poème en prose), les figures microstructurales de second niveau, les  lieux. C’est ici que se déploie la littérarité générique. Le terroir  de la forme de l’expression accueille l’ensemble des caractérisèmes, les figures, les faits relevant de l’élocution et de la diction au sens traditionnel de ces termes, c’est-à-dire le style, ici se mesure la littérature dans son aspect général et aussi singulier. Dans la substance de l’expression, on range le son et le graphisme.

Pour expliquer le double fonctionnement sémiotique auquel obéit le discours littéraire et permettant de régler le problème de l’illusion fonctionnelle, Molinié avait recouru à la notion d’usage de Hjelmsler et à celle d’image univers de Robert Martin. Ce choix se justifie  avec la notion d’image-univers, on finit par saisir le paradoxe de la fiction dont les affirmations sont données pour vraies alors même qu’elles ne correspondent à rien, sans pour autant donner le sentiment au récepteur d’être abusé.

Le discours littéraire relève donc d’un double fonctionnement. Cela veut dire, explique Nyela (Ibidem), qu’intérieurement, il fonctionne ordinairement, non poétiquement, au premier degré, dans le sens le plus littéral, selon le processus de la stricte mécanique linguistique où l’expression renvoie à un contenu. Donc, dans un premier niveau, l’on reçoit bien des informations matérielles même si l’on sait parfaitement que cela n’a  jamais existé, sans avoir toutefois, le sentiment d’être trompé, induit en erreur. Ce sentiment est possible parce que le discours fonctionne à un second niveau appelé un second étage sémiotique.

Enfin, Molinié conclut en disant : « le discours littéraire est donc bien en lui-même une totalité de fonctionnement, qui se régule entièrement, et durablement, sur son propre système (op.cit.18).

I.2.1.1.2..  Le discours littéraire et son propre référent.

Cette variante soulève la problématique de la représentativité du discours. Il est à souligner que cette représentativité, au sens d’Auerbach, est  médiatique et indirecte, sur symbolisation, comme le dit exactement Hjelmslev cité par Molinie : « il existe une correspondance d’ordre linguistique, entre l’œuvre littéraire comme objet de culture, et l’univers culturel dont elle-même, auquel elle appartient, qu’elle illustre par sa présence.» (ibidem, p.20).

A cette instance, la véritable question est de savoir à quoi correspond le référent extralinguistique du discours littéraire, qui n’est  rien d’autre que la production (le résultat), l’existence de ce discours.

La première caractéristique du discours constitue une clôture sémiotique tandis que celle-ci, est  une clôture référentielle cela veut dire, explique Nyela (1998 :21), la littérature porte une dimension narcissique parce qu’elle constitue finalement son propre miroir, c’est-à-dire, elle ne renvoie à autre chose qu’elle-même

Pour illustrer cette deuxième caractéristique, Molinié avait pris les cas aussi divers qu’un poème de Mallarmé  (l’après-midi d’un faune), un poème de Claudel (cinq grandes méthodes) ou une tragédie, ou encore un roman de Claude Simon où le référent réside dans la manœuvre langagière elle-même au fur et à mesure du déroulement textuel. Cette situation de pragmatique pure amène Molinié à conclure que « le discours littéraire est totalement et exclusivement performatif où il n’existe pas.

Cette référentialité, ajoute Nyela, est l’un des moyens permettant à la littérature de déborder l’espace et le temps et d’avoir une portée beaucoup plus vaste, favorisant par conséquent les conditions de réception en dehors du strict espace de naissance.

Dire que le discours littéraire est son propre référent, cette affirmation peut paraître contradictoire avec la précédente, c’est-à-dire, la première composante. Il peut arriver que l’artiste (qu’il soit poète, romancier, dramaturge) en paraphrasant, Nyela, arrive à subordonner sa qualité d’artiste à ce sentiment utilitaire de la vocation artistique. Or, si l’on ne peut effectivement nier l’existence d’un certain nombre de facteurs (notamment liés à l’histoire) de l’art ne saurait être tributaire de sa fin (qui lui est hétérogène) mais de son fonctionnement même. C’est à cette seule condition que l’on pourrait dépasser l’impasse dans laquelle conduit un certain unanisme critique pour situer la littérature africaine dans une autre perspective, celle de la littérarité.

I.2.11.3. Le discours littéraire se réalise dans l’acte de désignation de l’idée de ce référent

Ce discours est l’acte  de désignation de cette autoréférence. De ce fait, cette troisième caractéristique n’est que la conséquence de deux première, c’est-à-dire, c’est même une façon conclusive d’exprimer leur jeu essentiel.

Pour essayer de comprendre cette notion, nous nous permettons de préciser qu’il s’établit une différence entre le référent et le signifié d’un discours. Il est  bien clair que le référent n’est pas le signifié d’un discours, parce que le signifié est une valeur linguistique, alors que le référent a un statut ontologique extralinguistique.

Le référent en pragmatique littéraire correspond, tel que précisé ci-haut, a une auto référence, c’est-à-dire le résultat du discours produit, il est question de l’idée de cette autoréférence.

Ainsi, le discours littéraire est l’acte de désignation de l’idée du discours produit, c’est-à-dire l’acte de  faire apparaître l’idée du référent dans son propre déroulement.

Pour mieux illustrer cette composante, G. Molinié emprunte aux historiens comme Daniel Arase, ou aux sémiologues de l’image comme Frédéric Lambert ou Jacques Aumont le terme « indexation ». L’indexation est définie  par Molinié comme une propriété manifeste dans certains tableaux ou dans certaines pratiques photographiques, selon laquelle un élément formel de l’œuvre renvoie, non pas à ce qui est représenté, mais au processus matériel de la représentation (1993 :23). Cette sorte de signature qu’est l’indexation, poursuit-il, équivaut à la réalisation du discours comme acte de désignation de l’idée de l’œuvre verbale qu’il en train de construire.

Si l’on s’en tient à sa définition, l’indexation en art pictural ou figuratif est la marque de la non représentativité dont l’équivalent en stylistique est la sur caractérisation, c’est-à-dire un « surmarquage » de littérarité. Ceci met en évidence la réflexivité. C’est-à-dire le discours littéraire.

  1. Molinié peut conclure, la sémiotique de l’art est généralement et globalement réflexivité, c’est-à-dire que le discours littéraire est tout entier réflexif, en tant que littéraire.

En cas de littérarité pure que l’on peut rencontrer en poésie, tragédie classique ou en épopée, poursuit Nyela, la tension de la réflexivité est maximale alors qu’elle est minimale en cas de littérarité beaucoup moins forte. Emerge dès lors ici la question des degrés du ressentiment de la littérarité.

I.2.1.2. Les grands types de littérarité

La théorisation sémiostylistique de M. Georges Molinié pose trois grands types de littérarité : la littérarité générale, la littérarité générique et la littérarité singulière. Il sied de préciser que ces trois types de littérarité ne correspondent pas à trois types de questionnement sur quelque discours littéraire que ce soit, donc à trois niveaux d’approche de l’objet.

I.2.1.2.1.. La littérarité générale

C’est la littérarité comme telle, car on part du principe selon lequel  un discours est ou n’est pas littéraire. C’est apparemment simple. Il est facile d’opposer un discours littéraire à un discours informatif, technique, administratif ou scientifique, politique… avec sa variante qu’est le discours d’ordre  réglementaire ou prescriptif… dont la pragmatique est hétérogène et fondamentalement utilitaire.

Ainsi peut-on facilement faire la part des choses entre un roman de Mudimbe et le discours du président de la république. Ou Les Mathématiques Congolaises de Jean Bofane et la sentence du procureur de la république.

A première  vue, on dira qu’on a, à chaque fois, un acte de langage entièrement différent, et que la valeur pragmatique du discours littéraire est vraiment sui generis par rapport à celle de tous les autres discours évoqués.

On peut observer que les œuvres relevant du corpus littéraire négro-africain posent vraisemblablement problème eu égard à une théorisation de la littérarité. En effet, on a pu voir dans l’introduction que l’apparent consensus formé autour de la conception sociale du phénomène artistique dans le contexte africain semble le vouer à une pragmatique qui leur est hétérogène, et donc utilitaire. Tout se déroule ici comme si le phénomène artistique, compte tenu d’un certain nombre de facteur d’ordre culturel, contextuel c’est-à-dire  historique, n’est tout entier considéré que dans sa fonction et non dans son fonctionnement qui, seul, permet de transcender cette soi-disant pesanteur spécifiquement négro-africaine et d’appréhender e fait littéraire et artistique dans son essence même. Et Nyela est du même point de vue quand il parle de cette  littérarité à la page 16, en affirmant qu’il existe une différence entre le roman, La chauve souris de Bernard Nanga et un documentaire sur l’existence des chiroptères. Le précédent est un discours littéraire tandis que  le dernier ne l’est pas.

I.21.2.2.La  littérarité générique

Cette deuxième littérarité concerne les genres. Elle est très importante parce qu’elle nous permet de différencier les genres littéraires : une pièce de théâtre n’est pas un roman, une épopée n’est pas un poème lyrique, un poème en prose n’est pas un roman par lettres, des aphorismes ne sont pas un conte, une comédie n’est pas une tragédie, un sonnet n’est pas un rondeau. Chacun de ces genres  a ses lois ; ses contraintes qu’on peut bien décrypter. C’est le point de vue tel que soutenu par Molinié (1993 :14).

Selon Molinié (1993 :14), il semble plus facile de démontrer et de décrire les contraintes stylistiques caractéristiques de chacun  de ces genres et sous-genres, contraintes dont il est possible de construire des systèmes, des systèmes des systèmes et des emboîtements systématiques partiels.

Mais aussi curieux que cela puisse paraître, le degré maximal de littérarité générique se situe paradoxalement dans l’effondrement, la dilution des frontières génériques. C’est à juste titre qu’il affirme ; « l’indéfinition générique, voire le refus affiché de la catégorisation générique relèvent encore de l’examen de la littérarité générique (1993 :14).

On peut dire que ce phénomène constitue l’une des marques les plus fortes des œuvres appartenant au corpus littéraire négro-africain où l’on observe une insolite imbrication de tout ce qui relève de l’oralité et de l’écrit. Cette tendance s’exprime très clairement dans  les productions romanesques d’un écrivain comme Wéré Wéré Liking (Nyela, 1998 :17) qui, d’ailleurs n’hésite pas à les référencer dans une catégorie générique qu’elle appelle « le chant-roman ». Du mélange des genres elle fait son cheval de bataille lorsqu’elle dit : « je n’adhère pas à la scission systématique des genres. L’esthétique textuelle négro-africaine est d’ailleurs caractérisée entre autres, par le mélange des genres. Et ce n’est qu’en mélangeant différents genres qu’il me semble possible d’atteindre différents niveaux de langues, différentes qualités d’émotions et d’approcher, différents plans de conscience d’où l’on peut tout exprimer (1985 :18).

Enfin, on notera que le crédit de littérarité accordée aux productions littéraires négro-africaines relève très souvent de la littérarité générique puisqu’il est tributaire de la mention générique qui les caractérise.

I.2.1.2.3. La littérarité Singulière

Cette littérarité paraît, à tort, avoir été de tout temps la mieux étudiée : il s’agit en effet de la manière individuelle de chaque production littéraire singulière  (personnelle) ; c’est le domaine d’innombrables études de style consacrées à tel ou tel auteur.

Pour Molinié, l’examen de la littérature singulière relève d’un double défi. Il faut, d’une part, expliquer en quoi, langagièrement, dans le même genre, à la même époque, en dépit de l’identité titrologique, la production d’un auteur x se distingue de celle de l’auteur y. Par exemple, la Phèdre de Pradon et Phèdre de Racine. Mais il faut également montrer en quoi, langagièrement chez le même auteur, telle production est différente de telle autre, c’est-à-dire  montrer clairement en quoi les Mathématiques Congolaises et Congo Inc. d’In koli Jean Bofane se distinguent l’un de l’autre, par exemple.

Enfin, la littérarité singulière renvoie au délicat et profond problème de l’individualisation en stylistique. Si le rapport à la littérarité peut être le résultat d’un simple réflexe générique, comme c’est assez souvent le cas pour la littérature africaine, il s’avère dès alors primordial de la dépasser pour scruter les critères (objectifs) constitutifs de cette littérarité.

I.2.1.3. La question des degrés et sentiments de beauté

Le concept de degré est sans doute l’un des plus importants, et des plus puissants, dans les réflexions actuelles sur le langage. C’est dire que cette notion est  fondamentale dans la théorie de la littérarité. Autrement dit on peut avoir des littérarités plus ou moins pures. On peut alors scruter divers cas de littérarité en dehors des cas limites (littérarité pure ou littérarité nulle).

A ce point de vue Molinié s’écarte un tout petit peu de la théorie d’O. Ducrot qui privilégie le concept de valeur en soutenant que l’exercice langangier porte une valeur argumentative. Quant à Molinié, le discours littéraire est strictement argumentatif de sa propre littérarité puisqu’il rentre dans un processus de séduction. Sa valeur est donc celle de littérarité et elle peut être totale, partielle ou nulle. (1993 :25).

Ce discours qui, est entièrement mesuré comme acte créant la désignation de l’idée de son « auto référent », a une valeur maximale qui, à son tour s’apprécie à la réception. C’est pour cette raison que la sémiostylistique, dans la connexion productrice du discours littéraire, accorde la primauté au pôle récepteur. Il ne saurait en être autrement car « la littérarité n’existe qu’à la réception.

 La graduation du ressentiment de la littérarité ne va pas sans poser quelques problèmes, compte tenu de ce que Molinié appelle « Les provocations à toute théorie du discours littéraire ». Ce sont la littérarité d’idées (1993 :27).

La littérature de masse, comme le souligne Molinié (1993 :27), concerne la littérature d’aéroport et de gare, les romans sans Cellophane, les policiers comme  les Gérard de Villiers ou les Chasse (œuvres marquées par l’usage de notations artificielles d’oralité, censées représenter les parlers de tel ou tel milieu populaire), semble constituer le champ d’expérience d’un « SMIC de littérarité » (terme emprunté en comparaison au salaire minimal, il s’agit ici d’une sorte de seuil minimal de littérarité) générale et surtout générique.

La littérarité de seconde zone qui regroupe l’ensemble des Opera minora ne pose véritablement pas de problème quant à la littérarité générale. Il est simplement question ici de ressentiment très variable, moins puissant tant dans le temps que dans l’espace. Le véritable problème à ce niveau réside alors dans la qualité intrinsèque, dans le talent individuel. Si l’on s’en tient à la théorisation de Molinié, la littérature n’existe pas et les productions qui lui sont rattachées n’existent pas en tant qu’œuvres littéraires. G. Molinié illustre son propos en citant l’exemple des Pensées de Pascal ou des lettres philosophiques de Voltaire, indûment dans une pragmatique explicitement idéologique. Pour lui, ces œuvres sont beaucoup plus justiciables de la linguistique de l’argumentation d’O. Ducrot que de la sémiostylistique de la littérarité où le ressentiment de la beauté se mesure de manière résiduelle.

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