La littérature africaine d’expression française a connu plusieurs destins. Certains acteurs ont été plus virulents contre la colonisation, comme c’était le cas des écrivains de la première génération (vers les années 50) qui ont dénoncé indirectement ou directement la domination de l’homme Noir par le Blanc. Une autre génération d’écrivains a été plus critique à ce que l’histoire littéraire a qualifié de néocolonialisme. Cette deuxième génération d’écrivains, des années 60, a développé une poétique dont la thématique renvoie à la dictature ou la tyrannie, le tribalisme, le népotisme, etc. C’est dans cette série qu’il faut signaler l’œuvre inaugurale d’Ahmadou Kourouma , le soleil des indépendances (1908).
Le désenchantement engendré par les pouvoirs totalitaires ayant succédé aux anciennes puissances coloniales va non seulement provoquer le retour dans l’arène littéraire des écrivains comme Ousmane Sembene, mais aussi susciter des œuvres de jeunes romanciers de forte inspiration sociopolitique comme Mudimbe Vumbi Yoka. Si ces derniers se démarquent de leurs illustres devanciers par une nette volonté de rompre d’avec certaines habitudes narratives, force est de constater qu’il existe néanmoins une certaine continuité quant à ce qui concerne le contenu.
C’est pour cette raison qu’on considère que le roman congolais en particulier et africain en général semble être consubstantiel à la notion d’engagement.
Et AMADOU KONE d’ajouter : « la littérature africaine écrite de nos jours, héritière de la littérature orale traditionnelle, héritière de la Négritude, reste une littérature de combat, écrite pour lutter et défendre une cause, combattre l’arbitraire. Conscient ou pas de cet héritage, l’écrivain africain, sans doute contraint par son contexte, ne peut écrire que pour lutter. (1987 :15).
Ce roman se conçoit donc en premier lieu comme un puissant moyen d’action sociale. Cette conception militante de l’art résulte également du discours des critiques et des praticiens eux-mêmes sur l’art, précisément sur son rôle dans le contexte négro-africain. C’est pour cela que Jean Pierre Makouta Mboukou affirme que « la littérature est ici, et plus qu’on ne le dit, une œuvre et phénomène de lutte pour la construction nationale et négro-africaine (1980 :11).
Il assigne en conséquence une mission de reconstruction de décryptage, d’éclaircissement du message de l’œuvre au critique puisqu’il se doit « d’apprendre à lire au lecteur moyen, de lui indiquer le chemin qui conduit à la pensée de l’auteur » (Ibidem, p.11).
La littérature négro-africaine des années 90 et suivantes dans sa poétique, a recouru au phénomène de la transgénéricité, outre les critiques portant sur des régimes militaires, les boursouflures des pouvoirs totalitaires, chaotiques. C’est dans cette circonstance que l’Etat honteux (1982) de Sony LabouTansi a été produit.
Cette vague ne s’était pas passée inaperçue aux yeux des écrivains congolais. Rappelons que la situation politique qu’a connue la RDC vers années 90 a entrainé la création de deux réseaux dans l’histoire littéraire Congolaise. En effet, la démocratisation du pays par le régime de Mobutu et la guerre de libération de Mzee Laurent Désiré Kabila avaient poussé que certains écrivains restent au pays, constituant ce qu’on appelle désormais le réseau ou champ littéraire national, mais d’autres connaissent la migration et constituent le champ de la diaspora, ou le réseau « diérèse », Charles Djungu Simba cité par Makomo (2017 :p14). Le social du Congo demeura toujours le thème préoccupant. C’est dans cette optique que nous pouvons citer les œuvres comme, Enfer mon ciel 1996 de Sébastien Muyengo, Des milliers de vies au taux du jour (1996) de Charles Djungu Simba.
Même au cours des années 2000, on avait constaté que les textes produits pendant ces années se rangent derrière deux thèmes majeurs : la catharsis de la guerre et une manière d’écrire pour écrire. Voici quelques noms qui ont fait figure de cette période. Je ne suis pas un sorcier (2008), de Pie Tshibanda, Mathématiques congolaises ou Congo Inc. Le testament de Bismarck de Jean Bofane (Makomo,idem).
Nous pensons que la littérature négro-africaine en général et congolaise en particulier serait donc une véritable arme de combat dont on aurait peur. Elle ne porterait avant tout qu’une valeur de témoignage et ce serait d’ailleurs la principale justification de la propension des écrivains négro-africains en général et congolais en particulier, au genre romanesque. Jacques Chevrier ajoute en disant qu’ « à l’exception du cinéma, le roman est peut-être de tous les arts celui qui participe le plus étroitement des phénomènes sociaux qu’il a pour objet à la fois de traduire et de révéler (1974 :126).
Enfin, cet unanisme critique donnerait donc de la littérature négro-africaine l’image d’un solide bloc monolithique dans lequel résiderait sa spécificité.
0.1. Choix et intérêt du sujet
Le travail que nous nous proposons de faire porte sur la lecture sémiostylistique du roman Congo Inc. Le testament de Bismarck d’In Koli Jean Bofane. Il s’inscrit dans le sillage des recherches littéraires que la théorie de la littérature appelle « perspective du lecteur », parce que la sémiostylistique elle-même, est une approche orientée vers le pôle de la réception du lecteur. Or, le lecteur fait le texte et y projette ses images, y trace ses chemins dans les entrelacs de significations possibles. Le texte est aussi un discours.
Notre choix porte sur Congo Inc. pour des raisons diverses. D’abord, ce roman fait partie de la littérature africaine en général et congolaise en particulier. Cette écriture congolaise était restée pendant longtemps méconnue et parfois accompagnée des critiques : littérature au degré zéro, … Mais actuellement, la littérature congolaise mérite une attention particulière.
L’écriture d’In Koli Jean Bofane, écrivain Congolais, est une savante mixture d’ironie cruelle et de plaisir. Son roman brasse avec verve, toutes les thématiques, racontant, à travers quelques personnages bien sentis, les réalités du pays : l’exploitation du sous-sol, les viols à répétition, les exactions des pays voisins, les intérêts des grandes puissances, les compromissions des ONG et des agences internationales, etc. Il arrive que le rire devienne jaune et cède la place aux haut-le cœur. C’est un roman qui nous plonge dans l’histoire de l’Afrique lors de son dépècement par les grandes puissances réunies à Berlin sous le patronage de Bismarck, premier chancelier allemand. Cette écriture dépasse le cadre africain et touche diverses thématiques de niveau international notamment la politique des grandes puissances à l’égard d’autres pays (sous développés ou en voie de développement), des compagnies de sécurité et celle des multinationales. On voit comment l’auteur convoque un univers très varié, tantôt on parle de ce qui se passe à New York, en Chine, au Congo avec des personnages de divers horizons, africains et non africains : un Chinois idéaliste, un casque bleu pédophile, une anthropologue africaniste belge, un chef rebelle recyclé, une presse nationale et internationale notamment la RTNC, Fox News, RFI, France inter EL JEEZIRA, etc. On peut ne pas citer nombre de prix que l’auteur a reçus. Donc cette écriture de Bofane mérite une attention particulière.
Au côté de cette écriture, l’approche sémiostylistique nous a beaucoup intéressé. Il est à souligner que les approches, du fait littéraire se sont multipliées au fil des années suivant différentes orientations des critiques. Les unes se consacrent à l’étude de l’avant-texte pour étudier son évaluation jusqu’à l’établissement du texte, d’autres sont guidées par le texte rien que le texte, d’autres encore s’articulent au contexte (socio-économique) de la production de l’œuvre. La sémiostylistique quant à elle, est une stylistique « des effets » attentive à l’effet du texte sur le lecteur. C’est ainsi que nous avons opté d’appliquer cette approche à l’étude de ce roman
0.2. Problématique
Congo Inc. Le testament de Bismarck est un roman d’In Koli Jean Bofane recensement publié en 2014. Il pose des problèmes actuels qui étouffent le développement et l’épanouissement ainsi que des droits de l’homme dans la société négro-africaine en général et congolaise en particulier. Congo Inc.,en tant que texte littéraire, atteste-t-il des composantes formelles du discours littéraire ?
La problématique de notre travail se précise clairement par des questions secondaires :
0.3 Hypothèses
Ce discours aurait des effets sur le lecteur.
0.4 Objectifs du travail
L’objectif de ce travail est d’apporter notre contribution à la lecture d’un texte pluriel en examinant la réaction du lecteur devant un texte fragmenté. Il sera question de :
0.5. Etat de la question
En effet, lorsque nous avons parcouru les répertoires des travaux réalisés au département de français, nous nous sommes aperçu qu’In Koli Jean Bofane n’est plus un écrivain inconnu de la critique littéraire de Bukavu.
Au département de français, nous avons trouvé deux travaux déjà réalisés sur le roman Mathématiques congolaises de cet auteur : celui d’Emmanuel BUDHRI intitulé « La déconstruction sociale dans Mathématiques congolaises d’In Koli Jean Bofane », mémoire de licence, publié en 2012-2013. Par l’entremise des approches sociocritique et stylistique, l’auteur de ce mémoire trouve que ce roman déconstruit le social congolais par une écriture dont la spécificité serait l’ironie. Et l’autre travail est celui de BAZIBUHE Baluderhe Serge « La frustration de l’attente romanesque dans Mathématiques congolaises d’In Koli Jean Bofane », mémoire de licence défendu au cours de l’année 2014-2015. L’auteur de ce travail s’est rendu compte, au départ, que le roman frustrerait l’attente romanesque par une écriture de la rupture.
De ce fait, nous nous sommes rendu compte qu’aucun travail n’a été réalisé sur Congo Inc. Le testament de Bismarck.
Il sied de rappeler que notre recherche s’inspire de la thèse de doctorat de Dieu-Béni Désiré Nyela, intitulée, « Aspects de la littérarité dans l’œuvre romanesque de Yodi Karone. Une lecture sémiostylistique », soutenue en 1998. Cette étude pôrte sur quatre roman de Yodi Karone.L’auteur de ce travail présente la charpente suivante : la première partie est conçue autour de la théorie de la sémiostylistique. La deuxième partie concerne les dominantes thématiques : une approche titrologique et la troisième partie est intitulée les dominantes narratives, les enjeux de la littérarité.
L’originalité de notre travail par rapport au précédent, ce qu’il porte d’abord sur le corpus congolais tandis que celui de Nyela porte sur le corpus camerounais, mais aussi il n’a pas suffisamment exploité l’approche pragmatique que nous, nous avons utilisée pour analyser le dispositif énonciatif. Ensuite, dans notre travail nous nous sommes proposé de faire l’analyse actantielle sur Congo Inc. que lui n’a pas faite où il s’est limité au niveau de la théorie. Même au niveau du troisième chapitre, nous n’avons pas étudié les mêmes éléments.
0.6. Méthodologie du travail
Pour mener à bien cette recherche, nous avons, dans le cadre de nos analyses, appliqué l’approche sémiostylistique qui, selon Georges Molinié, en tant que l’une des approches de la réception, étudie les composantes formelles du discours littéraire : la littérarité, c’est-à-dire, le fonctionnement linguistique du discours littéraire (1998 :8). Nous retenons que cette approche est dorénavant interdisciplinaire.
Mais aussi, nous nous sommes appuyé sur la pragmatique et la sur la stylistique car la sémiostylistique est une approche interdisciplinaire, née de la stylistique et de la sémiotique et s’appuie sur d’autres disciplines. C’est pour cela que nous allons convoquer les théories de G. Genette, Riffaterre, Greimas…
0.7. Subdivision du travail
Hormis l’introduction et la conclusion, ce travail est composé de trois chapitres qui constituent son ossature. Le premier concerne les considérations théoriques et méthodologiques pour une approche sémiostylistique. Il saisit cette notion selon les théories narratologiques et celles de la lecture et de la réception.
Ensuite, nous aborderons la stylistique et la pragmatique, deux approches du fait littéraire qui nous servirons d’outils d’analyse. Enfin, ce chapitre doit se clôturer par la présentation du corpus.
Le deuxième chapitre va porter sur l’analyse actantielle en ajoutant la coloration sémiostylistique. De ce fait, nous dépasserons quelque peu l’optique de Greimas. Dans ce chapitre nous allons d’abord aborder le texte selon trois niveaux narratifs : niveau du récit, niveau du discours (personnages) et le niveau alpha qui brossera les aspects paratextuels. Ce point sera clôturé par un schéma actantiel tel que proposé par Greimas. Dans le deuxième sous-point, il sera question de présenter l’analyse actantielle dans l’optique de Molinié.
Le dernier chapitre s’intitule « Des aspects de la littérarité ». Ce sera l’occasion d’analyser quelques enjeux de la littérarité dominants dans ce roman.