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CHAPITRE I. CONSIDERATIONS GENERALES

Dans le présent chapitre, nous allons présenter les généralités de notre étude lesquelles porteront sur la définition des concepts, et la théorie explicative de la question sous-examen et nous allons présenter le cadre d’étude. 

De ce fait, ce chapitre est subdivisé en trois (3) sections. Notamment, le cadre conceptuel

(S1), le cadre théorique (S2) et le cadre d’étude (S3). 

Section 1 : Le cadre conceptuel : définition des concepts 

Un cadre conceptuel, dans une étude, consiste à élucider et clarifier les concepts aux considérations desquels ils sont entendus. En effet, on construit les hypothèses. Dans ce processus de recherche, la conceptualisation va au-delà des simples définitions de concepts sur lesquels s’articule l’étude. Elle constitue une abstraction ou une construction abstraite qui, au fil d’étude, permet au chercheur de réaliser un atterrissage empirique ou idéal type[1]. A cet égard, cette section est subdivisée en deux paragraphes (2). Précisément, les concepts systémiques (§1) et les concepts opératoires isolés ou connexes (§2). 

§1. Les concepts systémiques 

Dans ce paragraphe, nous allons ouvrir un débat sur les définitions de concepts clés qui forment l’énoncé du sujet d’étude afin de les élucider. Il s’agit précisément, sans prétendre à l’exhaustivité, des concepts : mécanismes (1), gestion de conflits (2), conflit (3), Afrique traditionnelle (4), médiation (5), processus (6) et enfin, stratégie (7). 

  1. Mécanisme

Le concept mécanisme est synonyme des stratégies et des moyens qu’un individu ou groupe d’individus emploient pour atteindre un objectif donné. En ce sens, le concept mécanisme de gestion de conflit désigne un ensemble de pratiques, de conduites et des comportements logiques en vue d’atteindre un but. C’est ainsi que la plupart d’auteurs considèrent la négociation, la médiation, la conciliation, l’arbitrage, comme des stratégies pour gérer et transformer les conflits. A ce propos, lorsque les pratiques s’appliquent dans une société précoloniale, nous parlons de mécanismes internes de gestion de conflit en Afrique traditionnelle. Les mécanismes traditionnels de gestion de conflits est l’ensemble des pratiques suivies en vue de gérer les désaccords dans les sociétés précoloniales[2].

  1. Gestion des conflits :

La gestion des conflits, plus précisément dans le sens sociologique, est définie comme la façon d’entreprendre les mécanismes afin de prévenir un conflit, la manière de conduire les mécanismes en vue de résoudre un choc, une lutte, une rivalité[3]

  1. Conflit

Le conflit est une opposition ou affrontement plus ou moins aigu ou violent entre deux ou plusieurs parties ; nations, groupes, classes, ou ethnies. Il est un choc et une rivalité. Le conflit est entendu comme oppositions, malentendus, antagonismes, tensions, … entre deux ou plusieurs individus, groupes, ethnies au sujet des relations réciproques. Le conflit est une rencontre hostile ou une collision d’intérêts, de principes, des idées, des politiques ou des programmes qui caractérisent la plupart des interactions exercées à l’intérieur ou entre les systèmes politiques. De ce fait, il est une lutte pour les valeurs et l’accession au pouvoir et aux ressources dont le but est de neutraliser ou l’éliminer les adversaires17.  

  1. Médiation

La médiation est un processus de résolution des conflits qui vise à apporter une solution en aidant les parties à discuter des options possibles et à parvenir volontairement à un accord de paix sans davantage recourir à la force ou à l’autorité d’une solution du droit. La médiation peut prévenir d’action « par le bas » qui renvoient à des initiatives diverses de la part d’acteurs non officiels qui refusent de limiter les politiques de pacification à la seule dimension diplomatique traditionnelle. La médiation par « le haut », quant à elle, renvoie à un processus de gestion de conflits dans lequel des adversaires recherchent l’assistance, ou acceptent la proposition d’aide d’un individu, d’un groupe, d’un Etat ou d’une organisation, pour traiter leur conflit ou résoudre leur différends sans avoir recouru à la force physique ou à invoquer l’autorité de la loi[4]

De ce fait, la médiation est un mécanisme traditionnel de gestion de conflits qui requiert les services d’une tierce partie neutre afin d’arriver à un accord consensuel entre deux parties en conflit. Elle consiste à une ingérence amicale d’une personne ou d’une nation dans le but de maintenir la paix entre les parties en conflits par l’ajustement de leurs difficultés. Ici, le rôle de médiateur n’est pas de décider unilatéralement la solution appropriée à un conflit entre les parties, au contraire, le médiateur agit comme un facilitateur qui guide des discussions entre les parties en conflits, en vue de les aider à comprendre la nature du problème, les intérêts en jeu de toutes les parties, ainsi que les diverses solutions possibles qui peuvent les aider à résoudre en tout ou une partie de problème. Ce faisant, le médiateur est souvent en mesure d’aider les parties à relever les intérêts qui sous-tendent les positions de chacune des parties et ainsi les aider à élaborer un accord de règlement collectif qui satisfait chaque partie dans toute la mesure du possible[5]

  1. Processus :

Le processus est l’ensemble des étapes d’une évolution complexe, impliquant une coordination des causes et des effets. Est une marche à suivre pour arriver à un but. Le processus est l’ensemble des étapes menées selon lesquelles évolue un ensemble d’objets en fonction d’un paramètre[6]

  1. Stratégie :

La stratégie est une coordination de démarches en vue d’un résultat. Elle désigne l’ensemble des défenses et désirs (conscients et inconscients) qui orientent les comportements des personnes[7]

  1. Afrique traditionnelle :

L’Afrique traditionnelle s’entend de l’Afrique avant la colonisation, l’Afrique avant les indépendances. Elle s’entend d’une entité dont l’identité définissable et cernable aurait perdue jusqu’aujourd’hui la valeur. Ainsi, la société africaine d’aujourd’hui a cessé des strates du temps très différentes les unes sur les autres. Sur une couche ancienne qui renvoie au rapport des sexes, à la parenté, au mode de fonctionnement du religieux, se superpose une couche intercalaire qui renvoie au savoir du droit. L’Afrique traditionnelle est celle qui règne avant l’avènement de l’Etat moderne[8]

§2. Les concepts annexes ou concepts opératoires isolés

Dans ce paragraphe, nous allons définir les concepts suivants : dialogue (1), négociation (2), arbitrage (3), conciliation (4), ethnie (5), tribu (6) et enfin Etat moderne (7). 

  1. Négociation :

La négociation est un processus volontaire et informel par lequel les parties en conflits cherchent à parvenir à un accord mutuellement acceptable. Comme son nom l’indique, chaque partie cherche de meilleures options ; ce qui aboutit à un accord. Il s’agit d’une communication permanente entre les parties en conflits en vue de trouver une solution. Dans ce processus, une tierce personne n’est pas directement impliquée et les parties en conflits devront finalement conclure un accord. La négociation est un mécanisme de résolution de conflit le plus ancien et le plus répandu. Elle est un processus de règlement consensuel entre des parties opposées qui repose sur la discussion. La négociation est le processus par lequel des personnes ou des groupes aux intérêts divergents tentent par des séries d’échange de vue, d’entretiens, de pourparlers et de démarches, de parvenir à un accord qui sera mutuellement bénéfique dans le règlement d’une affaire23

  1. Dialogue :

Le terme dialogue qui vient du grec est composé de deux entités : « dia » et « logos » qui signifient respectivement « entre » et « parole », discours, raison » une parole donc partagée entre plusieurs personnes ou groupes de personnes. Du point de vue étymologique, le dialogue fait appel à la raison, à l’écoute active qui permet de suivre une pensée pour entendre l’essentiel, traduire les émotions et les peurs. Le but ultime dans ce type d’exercice de communication n’est pas d’avoir raison sur le récepteur, mais dans une complémentarité des points de vue, de rechercher ensemble et de manière désintéressée le consensus si ce n’est la vérité. Le dialogue est connu dans beaucoup de sociétés traditionnelles africaines. Il était l’instrument qui permet de rééquilibrer les sociétés chaque fois que des crises ou des conflits menacent les fondements de communautés ou ceux de la famille. La pensée philosophique africaine inspirée par la sagesse africaine a toujours privilégié l’option pacifique dans la prévention et la résolution des conflits. Le sage africain préfère la prévention du conflit plutôt que sa résolution. L’expression « mieux vaut prévenir que guérir » trouvait ainsi tout son sens.

Pour le sage africain, « pourquoi arriver au conflit si on peut l’éviter ? ». Ainsi le dialogue est un processus de médiation ou de mécanisme de gestion de conflit[9]

  1. Conciliation

La conciliation est une stratégie de gestion des conflits qui consiste à accorder ensemble des personnes ou des parties divisées d’opinion, d’intérêt, de valeur en les reliant eu égard aux ressemblances contraires. Elle constitue une comparution devant un magistrat, pour essayer de concilier, avant de commencer un procès au civil, les parties en divergences[10].

  1. Arbitrage

L’arbitrage est un mécanisme de résolution pacifique des conflits. Il s’agit d’un processus volontaire de résolution des conflits dans lequel une tierce partie neutre (arbitre) rend une décision après avoir écouté les parties en conflits. Durant l’audience, les deux parties doivent avoir l’occasion de s’exprimer. Les parties en conflit peuvent choisir leur propre arbitrage avec la possibilité d’adopter une décision contraignante. A cet égard, il est clair que les parties peuvent choisir de régler tout différend qui surgit entre elles, sans recourir aux tribunaux et la procédure est fondée sur l’accord actuel ou futur des parties de soumettre tout différend entre eux à l’arbitrage[11]

  1. Ethnie

L’ethnie est un groupement caractérisé par des traits communs somatiques, linguistiques ou culturels et le sentiment d’appartenance de ses membres s’oppose à la race par son caractère spontané, non biologique et son contenu sociologique et psychologique. Le terme demeure discuté de façon imprécise correspondant à la minorité, groupe social ou même nationalité[12]

  1. Tribu

Une tribu est un groupement institutionnalisé à l’intérieur d’un Etat, un groupe ne correspondant pas à des critères précis. Elle est une unité la plus grande composée de groupes généalogiquement selon un système de parenté, sous l’autorité d’un Chef. Les membres parlent généralement la même langue. 

  1. Etat moderne

Un Etat moderne désigne succinctement un espace politique bien délimité sur lequel fonctionne un gouvernement et les institutions y afférentes pour gouverner un peuple. Cet Etat impose une administration, gère le monopole de la contrainte et développe une série des stratégies en vue d’intégrer en son sein une société et les communautés locales pour développer une conscience politique et une unité nationale[13]

En somme, cette section porte sur les définitions des concepts aux considérations desquels ils sont entendus dans ce présent ouvrage. Il s’agit, bref, d’élucider les concepts avec lesquels nous allons parcourir et interagir dans notre étude, avant d’aborder le cadre théorique. 

Section 2. Cadre théorique : Système traditionnel de gestion de conflits en Afrique 

Un cadre théorique est un dispositif qui aide un chercheur à pouvoir expliquer un problème grâce à un inventeur théorique. Celui-ci permet d’intégrer la question d’étude dans la communauté scientifique mais aussi de donner sa spécificité. Par contre, une théorie est l’ensemble des énoncés généraux décrivant les phénomènes réels. Elle est une manière de voir, une vision d’interpréter et d’expliquer le fait. 

A cet égard, pour aborder et interpréter mieux notre étude, nous allons emprunter la théorie du « système traditionnel de gestion de conflits en Afrique » de Vasu Gounden. Ainsi, cette section distingue trois paragraphes : le contenu de la théorie du système traditionnel de gestion de conflits (§1), l’évolution de système de gestion des conflits (§2) et justice traditionnelle de réconciliation au Rwanda (§3). 

§1. Contenu du système traditionnel de gestion de conflits en Afrique 

Selon l’auteur, Vasu Gounden, les nombreux conflits donnent le sentiment que le continent africain est une cause perdue et que la culture de la paix ne peut lui être appliquée. Dans cette théorie, l’auteur démontre l’inverse ; il existe une forte culture de la paix, mais elle a été influencée fortement par la rencontre avec l’Occident. La traite des noirs, la colonisation, la détermination arbitraire des frontières, mais aussi la constante influence de l’Occident au travers de l’aide ainsi que du commerce international ont irrémédiablement changé l’équilibre des pouvoirs. Les processus de traitement des conflits hérités de la période précoloniale sont impuissants face aux défis liés à la mondialisation. Souvent, les carences en démocratie et le sentiment ethnique sont considérés comme les causes des conflits sur le continent. L’auteur affirme, les chocs de l’histoire ont l’influence sur les institutions politiques et la rédévabilité du pouvoir[14]

Dans la plupart des analyses actuelles sur l’Afrique, la période avant la colonisation ou même avant l’indépendance n’est prise en compte et si elle l’est, c’est simplement pour expliquer l’articulation ethnique des conflits comme par exemple la rivalité historique entre Hutu et Tutsi, alors qu’en fait ces identités sont beaucoup plus fluctuantes qu’on ne le pense. La voix et les approches africaines sont rarement entendues, ce qui nous laisse croire qu’elle n’existe pas. L’auteur enchaine que les résolutions africaines aux problèmes africains doivent et devraient être trouvées et que les sources de ces solutions doivent être recherchées dans la diversité des traditions orales du continent. Gounden porte à notre connaissance que ces sources sont devenues moins accessibles depuis l’arrivée de la « modernité » et de ses conséquences, telles que l’attraction des villes sur les communautés. La traduction orale comme outil de transfert de siècles d’expériences et d’approches en communauté de résolution des problèmes est tombée en désuète. Le défi est ici de trouver des moyens d’exprimer cette sagesse adaptés aux défis actuels, et ce livre constitue à ce titre un bon début[15]

§2. Evolution de système traditionnel de gestion de conflits en Afrique 

Regardons d’abord l’histoire pour savoir comment la colonisation a changé les équilibres au pouvoir préexistent en Afrique, l’autorité des chefs traditionnels et les systèmes de résolutions des conflits qu’ils assuraient. 

Nous allons voir, dans ce paragraphe, trois étapes que la plupart de pays africains ont traversé : la période précoloniale, la période coloniale et la période d’accession à l’indépendance.

  1. Systèmes de gouvernance précoloniaux[16]

Pendant la période précoloniale, des systèmes traditionnels de résolution des conflits et de gouvernance étaient en place. Les dirigeants dépendaient dans une grande mesure du soutien de la population que la période suivante avec l’introduction d’armes à feu. Il existait alors une grande diversité d’organisations étatiques : de l’autocratie à la démocratie respectant plus ou moins le consensus. Au Royaume Kongo, le Mani Kongo désignait des gouverneurs pour chacune de six provinces  et sa loi était étendue au territoire par une administration élaborée qui incluait des spécialisations de fonctions telles que celles de « Mani Vangu Vangu », magistrat des tribunaux compétents pour juger les adultères. Le royaume a même un système de collection d’impôt, la monnaie étant constituée de coquillages. 

L’anthropologue M. Lewis l’a décrit comme une démocratie pastorale. La société des pasteurs est marquée par des rencontres souvent conflictuelles avec les groupes concurrentes, qui rivalisent pour les mêmes sources : l’eau et les pâturages. C’est une société guerrière, qui ne veut pas dire violente. Souvent des sociétés guerrières ont développé les méthodes de prévention et de résolutions de conflits. La confédération des tribus est régie par un droit coutumier qui comprend un code pénal, une constitution politique et un ensemble de règles d’ethnie sociale. Sa première vocation est de sauvegarder la cohésion sociale et de restaurer la paix à travers des mécanismes complexes de régulation des conflits et de l’exercice du pouvoir. 

  1. Nouvelle dynamique de système politique africain pendant la colonisation

L’arrivée de nouveaux acteurs sur la scène politique pendant la colonisation change les relations au pouvoir entre les responsables et les citoyens. L’introduction d’armes à feu ainsi que le soutien militaire et financier des pouvoirs coloniaux aux responsables politiques leur permet d’imposer leur pouvoir sur la population. De nouvelles structures de loyauté en résultent. La responsabilité n’est plus dans un premier temps du haut vers le bas, vis-à-vis des citoyens, mais du bas vers le haut, vis-à-vis des pouvoirs coloniaux. Ceci est un phénomène contre démocratique. Pendant la période coloniale, ces structures politiques existantes devaient s’adapter pour survivre ou bien disparaissaient complétement. L’exemple sénégalais démontre comment les formes de colonisations les moins agressives ont pu engendrer des formes de gouvernement plus démocratiques. Une des clefs du succès de la « révolution passive de 1975 – 1985  qui a conduit à la démocratisation libérale, repose sur leur histoire coloniale ». La manière dont les français ont colonisé le Sénégal se distingue des autres pays africains. En effet, le Sénégal a connu une forme de domination impériale plus démocratique, ce qui a rejailli de façon décisive sur la pratique de la politique intensément compétitif et par une tradition de pluralisme politique héritée de la division en quatre « communes ». L’histoire coloniale du Sénégal a insufflé à sa vie politique une certaine adhésion aux valeurs de la démocratie libérale[17]

  1. L’indépendance et l’importation des modèles occidentaux

L’accession à l’indépendance a coïncidé pour la plupart de pays africains avec l’importation des frontières, le statut d’un Etat-nation souverain, des procédures électorales selon les modèles démocratiques occidentaux et le multipartisme. Le problème après l’indépendance est que les pays africains continuent à être largement dépendant des modèles idéologiques des systèmes occidentaux. Ce paradoxe sera expliqué par le fait que l’Afrique n’ignore, sur le plan mécanisme de gestion de conflits, de système traditionnel de gestion de conflits qui tiendraient compte des réalités et des considérations africaines traditionnelles, cependant elle importe les mécanismes modernes de gestion des conflits. Ce qui nait une problématique entre les mécanismes modernes de gestion des conflits importés, et celles traditionnelles acquis des traditions africaines33

§3. La justice traditionnelle : la médiation avec « Gacaca » au Rwanda 

En Afrique, en particulier au Rwanda, les mécanismes sociaux traditionnels offrent des ressources autochtones sous-estimées de gestion des conflits. A la suite de l’expérience rwandaise des « Gacaca », version modernisée d’une forme autochtone de règlement des litiges qui a été développé et appliquée au lendemain du génocide de 1994, la communauté internationale s’intéresse de plus en plus au rôle potentiel des mécanismes traditionnels dans les stratégies de réconciliation et de justice traditionnelle. Plus récemment, les pratiques de réconciliation traditionnelle montrent que les mécanismes traditionnels prennent de l’importance parmi les pratiques envisagées afin de parvenir à un règlement pacifique. Les tentatives d’analyser et d’évaluer de façon systématique le rôle et l’impact des mécanismes traditionnels dans les contextes post-conflits sont trop rares. Ce rapport a pour ambition de combler cette lacune en étudiant le rôle que jouent les mécanismes de justice traditionnelle dans la gestion de l’héritage de conflit et des options pour l’élaboration des politiques futures. 

Elle suggère que les mécanismes traditionnels peuvent dans certains cas compléter efficacement les systèmes judiciaires conventionnels et offrir un véritable potentiel de promotion de la justice, de la réconciliation et de la culture démocratique. Par ailleurs, même dans les situations où les communautés sont plus enclines à exiger le châtiment pur et simple de coupables, les mécanismes de justice traditionnelle peuvent encore constituer un moyen de rétablir le sens des responsabilités tout en reliant la justice au développement de la démocratie. Les mécanismes traditionnels de gestion de conflit montrent la faiblesse des mécanismes modernes dans le cadre élargi des efforts de reconstruction sociale postcoloniale. Ainsi, l’exemple de Gacaca, nous est plus concret et parlant au Rwanda. Il faut promouvoir le recours à des mécanismes de justice traditionnelle comme gacaca et d’autres tels qu’ils sont pratiqués dans les communautés touchées par le conflit, avec les modifications requises, en pilier du cadre de la responsabilité et de la conciliation. Cette méthode pourrait constituer une étape majeure vers la réussite des pourparlers de paix qui doit mettre un terme au long et cruel conflit qui déchire les communautés des populations. Cette référence explicite à des instruments de justice traditionnelle dans le contexte d’un processus de paix et de justice est novatrice. C’est l’un des signes les plus forts de l’intérêt de plus en plus marqué pour le rôle que ces mécanismes peuvent jouer en période de crise[18]

Près de dix ans auparavant, confrontés au lourd héritage du génocide, les rwandais avaient commencé à explorer la possibilité de recourir à un outil informel de résolution des contentieux appelé « gacaca » dans le cadre de leur politique de justice traditionnelle. Depuis, des milliers de tribunaux non professionnels de ce genre ont vu le jour. Ils ont identifié et jugé un grand nombre d’hommes et femmes suspectés d’avoir participé aux événements d’avril 1994. Le monde entier a observé avec attention les actions de justice et de réconciliation des juridictions « gacaca ». Elles ont fait l’objet d’innombrables articles et ouvrages universitaires. Des organisations non gouvernementales (ONG) internationales et les pays donateurs les ont généralement financés. Les exemples de réintégration rituelle des anciens combattants au Mozambique et en Sierra Léone ont reçu un accueil identique. La mode était lancée, ce qui explique l’importance de concilier les mécanismes modernes de gestion de conflits, importés de l’occident, des mécanismes traditionnels de gestion de conflit[19].  Pour conclure cette deuxième section, les sociétés traditionnelles africaines ont développé de systèmes traditionnels de gestion de conflits. Ces derniers ont été corrompus par l’importation des modèles modernes de l’occident. Cette théorie explique les rapports entre l’Afrique et l’occident. Ce qui conduit pour saisir l’importance de cette relation, d’interroger les trois périodes : précoloniale, coloniale et postcoloniale à l’instar de juridiction de « gacaca » au Rwanda. 

Section 3. Cadre d’étude : Juridiction de « Gacaca » au Rwanda 

Dans cette section, nous allons présenter la juridiction de « Gacaca » dans les sociétés traditionnelles rwandaises en tant que mécanisme traditionnel de gestion de conflit au

Rwanda. Ainsi, cette section comporte quatre (4) paragraphes. Notamment, vue d’ensemble sur la société traditionnelle rwandaise (§1), aperçu général sur le « Gacaca » (§2), des principes de « gacaca » (§3) et du cadre sociopolitique actuel de « gacaca » (§4). 

§1. Vue d’ensemble sur la société traditionnelle rwandaise 

Pays de mille collines, le Rwanda est montagneux et vert. Il est aussi appelé souvent pays au printemps perpétuel, coincé entre la République démocratique du Congo à l’ouest et la

République unie du Tanzanie à l’Est, puis au nord par l’Ouganda et au sud par le Burundi, le Rwanda connait un climat tempéré et doux. La langue nationale est le kinyarwanda, les langues officielles sont le français et l’anglais. Le swahili n’est parlé que dans les villages.

Petit Etat indépendant depuis le 1e juillet 1962, le Rwanda a presque la même taille que son ancienne métropole la Belgique ou la suisse, voire plus près de Burundi.sa population approche 8.000.000 d’habitants et a la densité la plus forte de l’Afrique, près 292 habitant  au Km selon les statistique de la pré guerre de 1994 la population Rwandaise se composait de :0,1à 1% de Twa de 80 à 90% de  hutu et 8 à 14% tutsi. Le Rwanda fut appréhendé par les allemand  1898, ces derniers seront remplacés par les Belges 1916 à 1962 Avant l’époque coloniale le Rwanda est un royaume ou le monarque et la reine mère sont au centre de pouvoir. Ils sont conseillés par les élites de grand secret (abiru) qui régulent la vie quotidienne à la cour royale. Les  occidentaux subdivisent le pays en entités administratives locales chapotés par le chef et les chefs. Entre le chef et le roi, mwami, existant des administrateurs provinciaux dont le responsable hiérarchique est le président. Ce dernier gère le Rwanda en cohabitation avec le Mwami et rend compte au gouverneur général du Rwanda- Burundi basé à Bujumbura. Les deux pays sont placés sous mandant, puis sous tutelle belge par la société des nations, aujourd’hui nations unies. Ils sont la même similarité sociopolitique et culturelle puis que le pouvoir reste le monopole du Mwami, roi et ses proches ; la population étant considérée comme sujet. 

Dans ces deux royaumes, avant et pendant l’époque coloniale, les différends de portée mineur sont soumis devant une juridiction traditionnelle. Au Rwanda celle institution est connue sous le vocable de « gacaca » qui est l’instance initiale de tentative de conciliation et médiation entre deux parties en conflit. Au cas où cette tentative n’aboutit pas à une conciliation et médiation, pendant l’époque coloniale, l’affaire est portée devant les instances judiciaires habilitées dont le tribunal de canton, la cour d’appel, etc. Avant l’avenue des occidentaux, une affaire judiciaire de grande envergure ne trouvant pas de solution devant les juridictions primaires était l’affaire du roi, Mwami[20].

§2. Aperçu général sur le « gacaca »  

A l’origine, le « gacaca » était une juridiction populaire. Elle était constituée d’assemblées villageoises lors desquelles les sages tranchaient les différends, assis sur les « gazon ou herbes ». Aujourd’hui inspirée de ces anciennes assemblées, « gacaca » juge tous les présumés auteurs du génocide de 1994, sauf ceux considérés comme planificateurs et violeurs qui sont jugés par les tribunaux conventionnels. Traditionnellement, l’originalité de cette juridiction résidait au fait de minimiser les conflits familiaux afin de concilier des protagonistes. Il s’agissait d’éviter à ces derniers un procès explicite qui les opposerait davantage et créerait une rupture de relations. Pendant l’époque coloniale et postcoloniale, « gacaca » a joué un rôle important dans la médiation sociale, on parle de « kunga », c’est-àdire, faciliter à deux parties en désaccord à renouer le dialogue et la relation quelque peu détériorée. 

Selon l’agence d’information Grands Lacs Lamuka (AIGLL) (2007), les procès devant les tribunaux « gacaca », suivent leur cours mais sont loin de faire l’unanimité. Voici comment cette agence interprète l’action de cette juridiction : « le système « gacaca » institué en 2002 semble manquer d’impartialité. Les accusés ne sont pas autorisés à se défendre que ce soit dans la procédure d’investigations pendant le procès ou au cours de celui-ci à proprement parlé. La phase initiale de collecte des informations est apparemment contrôlée par les autorités locales (nyumba kumi) alors qu’au regard de la loi, la responsabilité revient directement aux juges « gacaca ». 

Le manque de qualification et de formation de ces juges, tout comme la pratique de corruption constatée dans certaines communes alimentent une méfiance généralisée à l’égard de ce système. Pour Amnesty international, des dysfonctionnements au sein de cette institution peuvent conduire à son échec. En effet, son inquiétude réside en ceci, les normes internationales en matière de droits humains exigent que les tribunaux exerçant les fonctions judiciaires aient été établies par la loi et traitent d’affaires relevant de leur compétence, en se fondant sur des textes de loi et en respectant les procédures prescrites. De telles normes affectent considérablement le fonctionnement coutumier de la juridiction traditionnelle « gacaca » ou « tribunal de gazon ». 

Il fallait certes, un cadre de résolution de conflit afin d’essayer de rapprocher les Rwandais après tout ce qu’ils ont enduré depuis la guerre d’octobre 1990 à 1994 et les représailles post massacres qui, en aggravant la situation ont amplifié les disparités sociales rwandaises. En effet, d’innombrables personnes ont été massacrées, puis d’autres mises en prison. La capacité d’accueil des prisons rwandaises a été dépassée de telle sorte que le nombre de prisonniers est passé du simple au double, voire au triple. Afin de désengager les prisons conventionnelles, l’Etat rwandais a fait recours aux tribunaux traditionnels « gacaca ». Des prisonniers sans dossier à charge ayant passé plusieurs années dans la détention sont provisoirement relâchées mais sont traduit devant la juridiction « gacaca » où les rescapés deviennent des témoins à charge. Il est plutôt facile de comprendre que le prisonnier traduit devant cette juridiction sans avocat a sa vie entre les juges sans notion de déontologie juridique et les accusateurs rescapés.

Ce qui justifie l’importance des mécanismes traditionnels pour combler les lacunes et les vides des mécanismes modernes[21]

§3. Des principes de l’organigramme et du recours à « gacaca »[22] 

  1. Principes

L’un de principes des juridictions « gacaca » est de réunir sur les lieux mêmes de crimes et/ou massacres, tous les protagonistes du drame : rescapés, témoins et criminels présumés. Tous devront ensemble reconstituer les événements du génocide, établir la vérité pour démontrer la préparation et l’exécution du génocide, ainsi que l’identification des auteurs, co-auteurs, complices du génocide et l’établissement de la responsabilité individuelle. Les juges (personnes intègres élues parmi la population) pourront ensuite s’appuyer sur la loi organique pour juger ces crimes. 

Les juridictions « gacaca » sont également fondées sur le principe de l’aveu, des plaidoyers de culpabilité, du repentir et des excuses de la part des accusés ainsi que le pardon offert par les rescapés, qui constituent un pays vers la « reconstitution » sans justice ni vérité, les déchirures profondes du tissu social rwandais ne guériront pas et la paix ne reviendra pas.   

  1. Organigramme de gacaca

Dans un premier temps, la composition des juges comprend 24 adultes intègres, honnêtes et de bonne conduite dont 19 qui siègent à l’échelon intérieur c’est-à-dire la cellule. Ensuite, cinq délégués de cellule y sont désignés pour siéger à l’assemblée de secteur. De plus, 50 personnes constituent les assemblées de secteur, de district et de province. Dans un deuxième temps, 24 personnes sont choisies et parmi elles, l’on a 19 membres de tribunal et cinq délégués à la juridiction « gacaca » supérieur. Le pays doit compter 10.662 tribunaux « gacaca » et un personnel estimé à 245.152 juges. 

Quant au pouvoir des « gacaca », ces juridictions ont le devoir de citer des individus à comparaitre afin de recueillir leur témoignage, de délivrer des mandats de perquisition et prononcer des sanctions pénales et confisquer des biens. Pour les audiences, il existe des audiences publiques sauf celles qui ont lieu à huis-clos pour des raisons d’ordre public ou des bonnes mœurs. Les délibérations entre juges « gacaca » sont secrètes mais tous les jugements sont publics et tous les éléments du procès doivent être joints au jugement. La loi organique établissant les juridictions instaure une procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité. Au cas les aveux de l’accusé corroborent les éléments de l’accusation, il y a réduction de peine, dont l’importance dépend du moment où il est passé aux aveux, c’est-à-dire le début du procès. Par ailleurs, les personnes faisant des aveux renoncent à leur droit d’appel. 

  1. Le recours à « gacaca » pour l’Etat rwandais

Le recours à « gacaca » par les autorités rwandaises semble un subterfuge afin de juger une population initialement acquise à la cause du gouvernement déchu. Cette dynamique doit humilier non seulement les présumés génocidaires mais contribue aussi à perpétrer une haine interethnique. On passe dès lors de la phase d’emprisonnement sans dossier à charge à celle de l’aveu où l’accusé reconnaissant ses torts à la promesse de bénéficier d’une réduction de la peine. Pourtant, une vague de fugitif des nouveaux dignitaires toutes ethniques confondues se généralise, certains prétendent échapper à la « gacaca » qui constitue une menace contre toute la population Hutu et s’exilent en Ouganda afin d’atteindre l’Europe. Par ailleurs, des anciennes dignitaires Tutsi moyens craignant pour leur sécurité fuient le pays et vont s’établir dans d’autres pays. 

§4. Cadre sociopolitique actuel de « gacaca »[23]

L’introduction de la juridiction « gacaca » en 2002, a été la solution ultime pour juger les hommes et les femmes incarcérés sans trace de charge. Là, on comprend, à première vue l’importance de l’intégration des mécanismes traditionnels dans les mécanismes modernes de gestion de justice. La population n’était pas préparée à ce genre de pratique qui ressort du cadre commun. L’inquiétude persiste quant à la justice rendue par « gacaca », la population pense qu’elle est un outil qui divise au lieu d’unir les rwandais et se demande pourquoi elle a été détournée de son rôle initial. D’après le rapport d’Amnesty international, cette institution a été mise en place pour des raisons pécuniaires : « les autorités ont eu recours à la « gacaca » en partie parce qu’elles manquaient des fonds nécessaires à un développement des juridictions ordinaires qui leur permettent de juger près de 100.000 personnes détenues et soupçonnées de génocide ». A présent cet organe judiciaire est financé par des bailleurs de fonds qui aimeraient concourir à la solution de bonne coexistence entre les rwandais. 

Pour la même organisation internationale des droits de l’homme, l’Etat rwandais justifie la mise en place de « gacaca » en ces termes : « le gouvernement rwandais défend cette juridiction en mettant en cause le tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), et les chambres spécialisées qui n’apportent pas de réponse adéquate aux question cruciales. Il pense qu’il s’agit de la participation populaire à la recherche de la vérité, la création d’un registre officiel relatif au génocide et la promotion de la réconciliation nation ». Tels sont, pour l’Etat rwandais, les atouts de « gacaca » mais d’aucuns pensent qu’ils sont loin de faire l’unanimité car l’impartialité et le manque de transparence en sont ses faiblesses sans parler du manque de qualification et de formation des juges. 

Les on dits, le clientélisme, la corruption, le règlement de compte, etc. sont les handicapes majeurs de cette juridiction, nouvelle formule. Ainsi, les règles implicites viennent colorer cette juridiction et guident le comportement des uns et des autres dans sa pratique. Cette étape de justice insuffisante de « gacaca » est due à une volonté manifeste de représailles contre les génocidaires présumés. 

[1] R. Quivy et L. V. Campenhoudt, Manuel de recherché scientifiques en sciences sociales, Paris, Dunod, 2006, p.20. 

[2] B. MUCHUKIWA RUKAIKZA, et alii, op.cit., p.16

[3] H. JEONG, Understanding conflict and conflict analysis. London : SAGE publications inc, 2008, p.3  17 D. LOPES, Médiations politiques africaines “par le haut”: Analyse empirique et essaie de théorisation.

Perspectives internationales, Janvier – Juin, 2013, n°3, pp.55-69. 

[4] A.M. ADAMS, Effective methods et alternative dispute resolution : négociation, médiation and arbitration, 2010, p.11. 

[5] M. GRAWITZ, lexiques de sciences sociales, Paris, Dalloz, 7e éd., 1999, p.193. 

[6] M. GRAWITZ, op.cit., p.385. 

[7] J. VONDERLINDEN, les systèmes juridiques africains, 1983, p.124. 

[8] B. OWASANOYE, “Dispute resolution mecanisms and constitutional rights” in subsaharan african. Paper written flowing a UNITAR sub-regional workshop on arbitration and dispute resolution (Harare, Zimbabwe 11 to 15 september 2000) (pp.15-27). Geneva: united nations institute for training and research (UNITAR), 2001  23 T. MOUCTAR Bah, Mme N. NDIAYE, O. TENDENG, op.cit., p.8 

[9] M. GRAWITZ, op.cit., p.82. 

[10] B. OWASANOYE, op.cit., p.27.

[11] M. GRAWITZ, op.cit., p.160.

[12] M. GRAWITZ, op.cit., p.409.

[13] B. BADIE et P. BIRNBAUN, op.cit., p.250. 

[14] https://www.lessystemetraditionnelsdeconflitsirenees.com consulté le 13 juin 2017, p.5 

[15] https://www.lessystemetraditionnelsdeconflitsirenees.com consulté le 13 juin 2017, p.6  

[16] https://www.lessystemetraditionnelsdeconflitsirenees.com consulté le 13 juin 2017 

[17] Kingslover, Barbara, The poison wood bible, Harper perennial, New York, 2006, p.333  33 I.M. Lewis, Aspatoral democracy, Somali, 2006, p.40 

[18] B.M. RUKAKIZA, A.B. CIMENESA, C.K. MASONGA, op.cit., pp.46-47 

[19] B.M. RUKAKIZA, A.B. CIMENESA, C.K. MASONGA, op.cit, p.49

[20] P. C. BAKUNDA, les mécanismes de résolution de conflits au Rwanda: le cas de “gacaca”, LEIDEN, 21 juin 2007, p.1.

[21] P.C. BAKUNDA, op.cit., pp.3-4.

[22] P.C. BAKUNDA, op.cit., pp.10-15.

[23] S. ABOU, Relations inter-ethniques et problèmes d’acculturation, Paris, 2986, p.25.  

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