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INTRODUCTION

Les débats traitant de la connexion entre croissance économique et santé convergent sur l’importance du capital humain dans la création de la richesse, particulièrement sous son volet santé [Bloom et al., 2004 ; Arora, 2011 et Bloom et al., 2013]. Dans leur étude, Pritchett et Summers (1996) concluent que les nations riches sont celles  en bonne santé, plaçant la croissance économique au cœur de la dynamique de l’état sanitaire d’une population.

La croissance économique est un phénomène de long terme qui se traduit par une progression permanente dans la capacité à satisfaire la demande des biens et services, résultant d’un accroissement de l’échelle de production et/ou d’une amélioration de la productivité, sous l’effet de la qualité des facteurs de production ou d’un progrès technique [BIS, 2011]. Ce faisant, ce phénomène constitue, en quelque sorte, une garantie de la disponibilité des aliments et des services sociaux de qualité, de la hausse des dépenses publiques (en infrastructures sanitaires, par exemple) ainsi que la base de toute transformation structurelle telle que l’amélioration de la qualité de vie, l’expansion de l’emploi, ou, en résumé, le développement [Babatunde, 2012].

Au niveau mondial, le taux de croissance économique n’a cessé de fluctuer à la hausse sur la période allant de 2000 à 2014, malgré les deux chutes survenues en 2008 et 2012, respectivement, à hauteur de 2,7% et 0,5% et qui se sont répercutées sur les pays du Sud [BM ; 2000- 2013]. De nombreux travaux empiriques, consacrant les liens entre la croissance économique et quelques-uns de ces déterminants, font généralement, ressortir d’une part, une influence positive du stock de capital physique et humain, de l’appréciation des termes d’échange, de la bonne gouvernance, de l’Investissement Direct pour Etranger tout comme de l’investissement national, de l’ouverture internationale, à quelques exceptions près, sur le niveau global de l’activité économique [Bassanini et Scarpetta, 2001 ; Ndambiri et al., 2012 ; Brückner et Lederman, 2012]. D’autre part, les dépenses publiques, le niveau et la volatilité du taux d’inflation ainsi que le taux de fertilité affectent négativement la croissance économique [Barro, 2003 ; Chen et Feng, 2000 ; Cheng et Huang, 2004].

Parmi les facteurs évoqués, le capital humain est l’un des déterminants majeurs du niveau d’activités et la littérature moderne[1] tout comme ancienne[2] mettent, prioritairement l’accent sur la santé, conjecturant que l’éducation lui serait conditionnelle.

La santé se réfère à plusieurs aspects en dehors de la maladie, notamment les attributs physiques, psychologiques ou mentaux, économiques, culturels et spirituels [Naidoo, 2004, OMS, 2001]. Le capital santé est considéré comme un stock dont le niveau est capturé à partir d’une batterie d’indicateurs macroéconomiques, tels que l’espérance de vie, le taux de mortalité  des nourrissons, le taux de mortalité des enfants de moins de 5ans, le taux brut de décès, le taux de survie pour adulte, le taux de mortalité maternelle et la prévalence de certaines pathologies ou leur incidence [Cornia et Mwabu, 1997 ; Bhargava et al., 2001 ; Chakroun, 2000 ; Mwabu, 2001]. A l’échelle mondiale, l’état sanitaire s’est, généralement, amélioré sur la période allant de 2000 à 2015[3] [OMS, 2015]. Certains travaux se limitent  aux motifs économiques pour justifier les performances consenties dans le domaine de la santé [Carrin et Poiti, 1995]. D’autres, par contre, partent du constat que pour un niveau presque similaire de revenu, les indicateurs sanitaires diffèrent, énormément, entre nations et proposent, pour ce faire, un ensemble des déterminants supplémentaires, dont, le taux de change réel, les conflits ethniques, l’accès aux services sociaux, les maladies épidémiques, les dépenses publiques, le taux de fertilité, le niveau d’éducation, l’alimentation, les dépenses familiales en santé et le niveau de pollution [Mwabu, 2001, Hamdouch et Depret, 2005 ; Naidoo, 2004].

Cependant, l’impact de l’accroissement du revenu sur la santé demeure le plus prédominant [Mwabu, 2001].

A cet effet,  la littérature fournie des évidences empiriques et des modèles théoriques sur les mécanismes au travers desquels la santé et la croissance économique interagissent. Il s’agit notamment de : (1) une durée de vie longue motive à investir davantage dans l’éducation et à épargner, incitants majeurs de la croissance économique [Bratti et al., 2004 ; Ngangue et Manfred, 2013] ; (2) une bonne santé joue sur l’habilité à apprendre et, par ricochet, sur la productivité qui améliore la rentabilité des entreprises ainsi que les salaires des travailleurs [Acemoglu et Johnson, 2007 ; Madsen, 2002] ; (3) des travailleurs plus sains, c'est-à-dire, plus énergétiques et plus souples physiquement et mentalement, facilitent le développement et le maintien des avantages comparatifs par rapport à d’autres nations, grâce aux innovations ou à la création d’une valeur ajoutée supérieure maximisant les recettes à l’exportation et attirant les IDE [Babalunde et Adefabi, 2005] ; (4) un taux de mortalité infantile et juvénile élevé impulse le ménage à hisser leur taux de fertilité, en substituant la quantité à la qualité – c’est à dire la santé et l’éducation- des enfants [Becker et al. 2001 ; Babatunde et Adefabi, 2005 ; Bloom et Sachs, 1998] ; (6) ce niveau élevé du taux de fertilité inhibe le travail de la femme quel que soit son niveau d’éducation et fait peser le coût d’opportunité y relatif à l’économie [Babatude et Adefabi, 2005] ; (7) les dépenses qu’entraine une grave maladie peuvent forcer un individu, voir toute une famille, à contracter des dettes en hypothéquant ses outils et facteurs de production – à l’exemple de la terre – ou le vendre, carrément, ce qui rétrécit le rendement et/ou la productivité [Bloom et Sachs, 1998] ; (8) l’espérance de vie renseigne sur le nombre de fois qu’un agent économique pourrait percevoir son revenu ainsi que les avantages y relatifs. Plus elle est élevée, plus la fréquence est grande et sa contribution dans le PIB s’étend dans le temps [OMS, 2001] ; (9) un taux de mortalité infantile en baisse affecte l’âge moyen de la population qui tend à augmenter tout en réduisant le taux de dépendance des jeunes[4] et, accélère la croissance économique [Bloom et al. 2001], d’une part. D’autre part, l’accroissement de la taille de la population qui en résulte réduit le capital par travailleur [Bloom et al., 2013].

La problématique inhérente à l’articulation entre l’état sanitaire et la croissance économique prend une envergure délicate dans un contexte caractérisé par une forte intensité de la main d’œuvre dans le processus de production et la faiblesse du revenu par tête, d’une part. Des hôpitaux ou centres de santé proches en nombre réduit et dont la qualité de soins est dérisoire, d’autre part. Cet état de lieu se rapporte aux pays pauvres, en l’occurrence, les pays africains où l’état sanitaire est médiocre. Au sein même de l’Afrique, Mwabu (2001) révèle les divergences régionales dans les statuts sanitaires sur la période 1980-95 en raison des hétérogénéités remarquées dans les politiques sociales poursuivies par région à travers le temps. Son travail débouche sur un classement mettant en tête l’Afrique du nord et en dernière position l’Afrique occidentale suivie par l’Afrique centrale, les deux grandes composantes de l’Afrique sub-saharienne en termes d’effectifs de pays les constituant.

L’Afrique sub-saharienne n’est pas restée en mauvaise posture. A partir de l’année 2000, elle a connu une amélioration de ses indicateurs de santé. L’espérance de vie est passée de 50ans à 58ans entre 2000 et 2015 [OMS, 2015]. De même, le taux de mortalité infantile, s’est sensiblement dégradé passant de 154 à 83 pour mille entre les deux années [OMS, 2015]. Berthélemy et Thuilliez (2013) estiment que le soutien accordé aux pays africains dans le cadre des OMD ainsi que l’accroissement simultané de l’aide au développement et de la part de cette aide allouée à la santé[5] justifient les performances enregistrées dans le domaine de la santé durant cette période. Cependant, pour un niveau quasi similaire d’assistance, les indicateurs sanitaires diffèrent entre nations. Ceci insinue l’existence d’autres facteurs qui auraient contribué à ce progrès. En effet, les pays à revenu relativement élevés dégagent un état sanitaire conséquent (appendice1). De ce point de vu, le revenu semble être la source par excellence de l’état sanitaire. 

Les statistiques inhérentes à l’accroissement du revenu par tête, dans cette partie du continent, révèlent des performances économiques impressionnantes sur la période allant de 2000 à 2014 puisque la croissance moyenne s’élève à 5,6% [BAD, 2012 ; Wike et Simmons, 2015].

Suivant la classification de la BM (2016),  l’Afrique sub-saharienne regroupe respectivement 10 ; 2 ; 14 ; 8 et 9 pays de la région centrale, boréale, occidentale, orientale et australe (appendice 2).  La contribution de chaque région au progrès remarqué, à la fois, dans le domaine de la santé et de la production à l’échelle de l’Afrique subsaharienne, s’avère inégalitaire et trop variante dans le temps. D’un côté, les pays logeant la partie nord dégageaient en moyenne l’espérance de vie la plus élevé (58ans), le taux de mortalité infantile le plus faible (55‰), le taux de mortalité des moins de 5ans le plus faible (68‰) et le taux de croissance économique le plus élevé (5%) sur la période 2000-2006. Cependant, ils se sont retrouvés avec des indicateurs les plaçant en deuxième position soit, respectivement 63 ans ; 67,1‰ ; 90,1‰ et 5,2% à partir de 2012 [BM, 2000-2013 et OMS, 2005-2015].

De l’autre côté, la partie occidentale dont, en moyenne, l’espérance de vie fut quasiment la plus faible (50ans), le taux de mortalité infantile (104‰) et le taux de mortalité des moins de 5ans (186‰) les plus élevés ainsi que le taux de croissance économique le plus faible (3,86%) sur, la période 2000-2006, arrive à se placer en première position à partir de l’année 2012. Le taux de croissance moyen a atteint 6,25% avec des indicateurs sanitaires largement meilleurs (respectivement, 57,7ans ; 64,89‰ et 98‰  pour l’espérance de vie, le taux de mortalité infantile et le taux de mortalité des moins de 5ans) [BM, 2000-2013 et OMS, 2005-2015].

Ce constat pousse à s’interroger si les améliorations connues sur le plan de la croissance économique (respectivement, de la santé) sur la période 2000-2015 ont un lien avec les hétérogénéités observées dans l’état sanitaire (respectivement, la production) au sein de l’Afrique sub-saharienne.

Ce questionnement trouve son fondement dans la transition qu’opèrent les pays les plus vulnérables du continent africain de par la persistance historique des maladies endémiques et épidémiques hostiles à une vie économique adéquate comme le paludisme, la tuberculose,  la méningite, le choléra et la coqueluche vers un état sanitaire de plus en plus acceptable, d’une part. D’autre part, une mutation de ces pays d’une situation socio-économique défavorable à une, propice au progrès dans le domaine de la sante et qui découlerait de bonnes politiques sanitaires. C’est-à-dire,  celles qui préconisent la redistribution des fruits de la croissance à travers, notamment, la promotion de l’état sanitaire.

Ainsi, l’objectif de ce travail est de mesurer l’effet de la croissance économique sur l’état sanitaire de la population à travers les différentes sous-régions que compte l’Afrique sub-saharienne.

Bon nombre d’études ont été orientées dans ce sens, notamment, celle de Mwabu (2001), menée sur l’ensemble du continent africain, et dont l’objectif était d’analyser les rôles des facteurs socio-économiques et médicaux dans la détermination du statut sanitaire de la population. Gymah-Brempong et Wilson (2004) ont, également, analysé l’efficacité de la politique d’investissement en santé en Afrique. Ces études ont été exécutée dans un contexte de récession (années 1980-1990).

Cette étude se situe dans  la continuité de ces travaux qui datent de plus d’une décennie alors qu’entre-temps l’Afrique sub-saharienne a connu une autre conjoncture en termes de croissance. Ce nouveau contexte pourrait définir un tout autre lien entre l’accumulation du revenu et l’état sanitaire en s’appuyant davantage sur les particularités régionales au sein de l’Afrique sub-saharienne telles que ressorties dans les travaux précédents.

Dans la littérature disponible sur le lien entre croissance et santé, plusieurs approches ont été adoptées, notamment, la méthode des MCG avec des effets aléatoires [Mwabu, 2001] ; le modèle des effets fixes et la méthode de moment généralisée [Ngangue et Manfred, 2013] et le modèle à seuil [Chakroun, 2001]. Toutes ces méthodologies, à l’exception de celle de Mwabu (2001) présentent une insuffisance qui résulte de leur incapacité à capturer la contribution des spécificités régionales à l’état sanitaire.

A la suite de l’étude de Mwabu (2001), la présente procède par une succession de tests de confirmation des effets individuels aléatoires et une estimation par le MCG du modèle à effets aléatoires avec des regresseurs endogènes.

Les données secondaires sur l’Afrique subsaharienne et relatives aux indicateurs de la santé ainsi que ses déterminants, parmi lesquels figure la croissance économique, sont issues des Indicateur de la Banque Mondiale et portent sur la période 2000-2015.  Le traitement s’est fait à partir du logiciel STATA version 12.

Cette étude est divisée en trois chapitres. Le premier présente la revue de la littérature. Dans ce dernier sont développés l’approche conceptuelle, les mesures de la croissance économique parmi lesquels figure le capital humain « santé », la confrontation entre les approches microéconomique et macroéconomique, la notion d’hétérogénéités géographiques en termes de santé ; et enfin, les résultats de quelques études antérieures. Le second présente la méthodologie, les hypothèses et les données. Le troisième présente et discute les résultats, donne la conclusion, les recommandations et les limites du travail.

[1]; Lim (1996)

[2]Marx (1867)

[3] L’espérance de vie est passée de 68ans en moyenne entre 2000 et 2006 à 70 ans en moyenne entre 2007 et 2015. Le taux de mortalité des enfants âgés de moins d’1 an s’est dégradé de 47.82% à 36.31% entre les deux sous-périodes.

[4] Nombre de non actif (de préférence, les jeunes) rapporté au nombre d’adultes renseigne l’importance  des changes que supporte un adulte et la proportion de la population en âge de travailler. Plus elle est élevé, plus le PIB est important.

[5] Elle a presque doublé pendant cette période pour s’établir au tour de 13% en 2011 (Berthélemy et Thuilliez, 2013)

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