Les forêts d’Afrique centrale jouent un rôle important sur les plans économique, social, culturel et écologique. Elles contribuent au développement économique des pays, à l’amélioration des conditions d’existence des peuples et à la préservation de l’environnement aux niveaux local et global (Lescuyer et al., 2012). Elles couvrent près de 236 millions d’hectares, mais régressent à raison de 0,23% de cette superficie par an (Mayaux et al., 2003 ; FAO, 2010). Cette déforestation s’explique essentiellement par la propagation de l’agriculture permanente à petite échelle (FAO, 2009), la surexploitation ou l’exploitation illégale du bois, la conversion des forêts en terres agricoles et l’extraction minière (GIEC, 2000).
En République Démocratique du Congo (RDC), les forêts couvrent environ 145 millions d’hectares, soit 62% du territoire national. Les forêts sont omniprésentes en RDC : près de 12,2 millions d’hectares de forêt sont déjà réservés comme concessions forestières (soit environ 8% du territoire national) pour des opérations d’exploitation (de Wasseige et al., 2012).
Pour une gestion durable de la ressource en bois dans le cadre de ces concessions, il faut bien connaître le comportement des espèces exploitables. Une solution est de mettre en place des dispositifs permanents dans lesquels les arbres sont suivis de manière individuelle à intervalle de temps régulier (Strayer et al. 1986). Selon Picard (2007), on trouve principalement deux catégories de dispositifs : ceux destinés à l’étude de l’écologie et de la biodiversité des forêts, le plus souvent avec un enjeu de conservation, et ceux destinés à l’étude de la dynamique forestière en vue de préciser les paramètres de l’aménagement forestier, avec un enjeu de gestion durable et d’exploitation.
Un suivi régulier de ces dispositifs permet d’acquérir des connaissances sur les processus de la dynamique des espèces : taux de recrutement, taux de mortalité, vitesse de croissance en diamètre, encore insusamment connus. Ces processus sont quantifiés pour (1) estimer le plus précisément possible la taille des arbres et des peuplements forestiers et (2) leur évolution dans le temps sur un même site (ATIBT, 2006). Ceci permet de faire le suivi de la reconstitution du peuplement et d’améliorer la précision des paramètres d’aménagement (Picard et al., 2008).
Des dispositifs permanents de recherche sur la dynamique forestière ont été mis en place dans de nombreux pays forestiers tropicaux suivant le schéma ci-dessous (Figure 1). En 2008, un dispositif permanent a été installé dans la réserve forestière de Yoko (Province Orientale, RDC) où 9 hectares ont été délimités pour des études dynamiques. C’est ce dispositif qui a été utilisé pour notre étude, cinq ans après la première campagne d’inventaire.
Figure 1. Schéma général de dispositifs d'études dynamiques: a) Forme d'une placette installée; b) Arbres d'une placette; c) Découpage d'une placette en carrés; d) Dispositif de comptage des arbres (Picard, 2007)
La dynamique, au sens physique du terme, concerne l'étude des "forces qui déterminent les variations d'abondance des populations et des sous-populations" (Frontier et Pichod-Viale,
1993). Elle résulte de processus fondamentaux : la reproduction (floraison, pollinisation, fructification, dissémination, germination), la croissance et la mort. Notre étude a porté sur la croissance, la mortalité des arbres et le recrutement. Le recrutement peut être considéré comme le résultat de la reproduction, de la survie et de la croissance des jeunes individus jusqu’à une taille pré-définie (il s’agit le plus souvent du diamètre à hauteur de poitrine (DHP), appelé diamètre de précomptage) (Favrichon et al. 1998).
La mortalité est un paramètre à la fois fondamental à prendre en compte et difficile à estimer : fondamental car son impact sur le bilan en surface terrière ou en volume de l'ensemble du peuplement (Clark et Clark, 1996) ainsi que sur la sylvigénèse (Pascal, 1996) est important. Difficile à estimer car c'est un évènement rare et fortement aléatoire dans le temps et dans l’espace (surtout chez les individus de gros diamètre ou pour les espèces peu fréquentes, c'està-dire pour les populations à faible effectif).
Dans son travail à Paracou, Gourlet-Fleury (1997) note qu’en forêt non perturbée, la mortalité naturelle touche un peu plus de 1% du peuplement vivant (7 individus/ha/an), répartis entre les différents types de la manière suivante : 48% de morts sur pied (3,3/ha/an), 29% de chablis primaires (2/ha/an) et 23% de chablis secondaires (1,7/ha/an). Ces chiffres sont très variables d’une année à l’autre, le taux de mortalité global pouvant varier du simple au double.
Dans notre travail, nous allons recenser les arbres morts en distinguant deux types de mortalité (Durrieu de Madron, 1994) : la mortalité sur pied (l’arbre meurt en restant debout ; il aura tendance à se désagréger petit à petit) et le chablis (l’arbre meurt en tombant). Un classement par type de mortalité sera appliqué aux individus morts au courant de cette étude. L'étude du taux de mortalité par classe de diamètre pour une espèce donnée permet de mieux comprendre la structure diamétrique d’une population. En théorie, si l'on considère la population constituée de tous les individus depuis le stade plantule, on observe une courbe de mortalité par classe de diamètre en U (Alvarez-Buylla, 1994), c'est-à-dire un taux de mortalité fort pour les plantules, puis plus faible pour les individus matures et enfin de nouveau fort pour les individus de gros diamètres en phase de sénescence. Par contre, si l'on ne considère que les arbres à partir de 10 cm de diamètre, les avis sont partagés quant à l’existence d’une relation significative entre le taux de mortalité et le diamètre (Alder, 1983, Durrieu de Madron, 1993).
Deux approches sont possibles pour tester l'hypothèse que le taux de mortalité est différent selon la classe de diamètre considérée, mettant en jeu (1) le nombre de morts entre les temps t1 et t2 et le nombre de vivants au temps t1, pour k classes de diamètre ou (2) le nombre de morts entre les temps t1 et t2 et le nombre de morts théorique si l'on applique un taux de mortalité moyen et constant, pour k classes de diamètre. Le problème consiste à définir la kième classe de diamètre. En effet, le nombre de morts devient rapidement très faible dans la population des arbres de gros diamètre et les résultats des tests peuvent varier en fonction de la manière dont on configure cette dernière classe (Gourlet-Fleury, 1997).
Le recrutement donne une image du renouvellement des effectifs. C'est une variable importante pour comprendre la dynamique à long terme des populations. Les valeurs du recrutement peuvent être quantifiées à partir d’unités d’échantillonnages et par période de temps, en effectif, en surface terrière et en volume par espèce, groupe d'espèces ou toutes espèces confondues. On en déduit les valeurs moyennes et la variabilité dans l'espace et dans le temps du recrutement (Favrichon et al., 1998).
Le recrutement est fonction de deux éléments : (1) du nombre d'individus appartenant à la classe de diamètre inférieure au diamètre de précomptage (par exemple, la classe des moins de 10 cm de diamètre si ce seuil est fixé à 10 cm), représentant le potentiel de recrutement ; (2) de la vitesse de croissance de ces individus (Durrieu de Madron, 1993).
Dans les forêts tropicales, Kariuki et al. (2006) notent que le nombre d’arbres recrutés dépend des espèces et de la densité des arbres de grand diamètre (≥ 40 cm) cinq à dix ans avant les nouvelles mesures de grosseur (Kariuki et al., 2006).
La croissance moyenne en diamètre varie en fonction des classes de diamètre selon une courbe généralement en cloche dont le maximum passe par les classes de 40 à 60 cm. Les arbres de cette taille ont atteint la voûte et privilégient alors la croissance en diamètre, les plus petits privilégient encore la recherche de la lumière, donc la croissance en hauteur et les plus vieux sont entrés dans une phase de sénescence et voient leurs performances diminuer (Frontier et Pichod-Viale, 1993).
Dans les forêts denses équatoriales en Guyane, Gazel (1983) note que l’accroissement moyen sur le diamètre est estimé à moins de 1,6 mm par an. Plusieurs auteurs soutiennent cependant que dans les forêts tropicales, l’accroissement annuel moyen en diamètre varie de 0,1 à 0,5 cm avec la majorité d’arbres tendant vers la valeur la plus basse (Horne et al., 1982, Korning et al., 1994, Gourlet-Fleury, 1997, Favrichon, 1998 et Finegan et al., 1999).
Les espèces d’arbre peuvent être classées en trois groupes, dont les limites tracées dans des continuums de caractères biologiques tels que la vitesse de croissance, le besoin de lumière, la longévité, la longueur du cycle reproductif, etc. restent parfois arbitraires ou mal définies. Les pionnières sont définies comme des espèces susceptibles de participer les premières à la reconstitution d’un couvert végétal, et dotées (1) d’une capacité de germer dans les conditions de lumière forte, (2) d’une grande rapidité de croissance leur assurant un avantage sur leurs voisines. Elles ont une durée de vie courte (Swaine et Whitmore, 1988). Avec l’évolution de la forêt, d’autres espèces ont la capacité de s’établir en sous-étage d’un couvert forestier : ce sont des espèces tolérantes à l’ombre. Celles-ci dominent le couvert forestier lorsque la forêt atteint un stade de développement avancé. D’autres espèces, nommées espèces de transition ou semi-tolérantes, sont favorisées par des ouvertures modérées du couvert forestier. Ces espèces vont s’implanter lors de la création des petites trouées dues au renversement de quelques arbres (petits chablis) (Swaine et Whitmore, 1988).
La liaison entre la croissance et le tempérament des espèces a été mise en évidence. Les espèces tolérantes et semi-tolérantes à l’ombrage ont des faibles accroissements moyens alors que les espèces pionnières possèdent des accroissements élevés en pleine lumière.
Selon Doucet (2003), une autre manière de classer les espèces en fonction des tempéraments est celle d’Oldeman et Van Dijk (1991). Ils reconnaissent six classes sur base notamment des caractéristiques du houppier et des feuilles. La figure 2 illustre ces six groupes.
Figure 2. Visualisation des tempéraments (d'après Oldeman et Van Dijk, 1991). Les groupes sont: 1. Hard strugglers; 2. Gambling strugglers; 3. Gamblers; 4. Strugglers; 5. Struggling gamblers; 6. Hard gamblers
Cette classification est basée sur les stratégies de croissance et de développement des espèces en fonction de la lumière (Boyemba, 2011). Les « hard gamblers » et « hard strugglers » conservent une même tolérance à l’ombre durant toute leur existence. Quant aux quatre autres types de tempérament, ils désignent un changement de tolérance à l’ombre à l’un ou l’autre des stades clés de la croissance de l’arbre. Les « strugglers » ou « combattantes » correspondent aux habituels « shade-tolerant trees » ou « climax species » tandis que les « hard gamblers » correspondent aux « pioneer species » et « light-demanding trees » (Senterre, 2005).
Dans cette étude sur la dynamique forestière dans la réserve forestière de Yoko, les hypothèses suivantes seront testées :
L’objectif global de ce travail est de quantifier les processus de la dynamique forestière qui sont : l’accroissement diamétrique, le recrutement et la mortalité des arbres dans la réserve forestière de Yoko.
Les objectifs spécifiques suivants ont été assignés au présent travail :
Hormis la conclusion, ce mémoire est structuré en quatre chapitres. Le premier chapitre est en effet une introduction générale reprenant le cadre scientifique de l’étude. Le deuxième chapitre présente les matériels et méthodes utilisés pour l’élaboration de ce rapport. Le troisième chapitre porte sur la présentation des résultats obtenus pendant que le quatrième chapitre est consacré à la discussion de ces résultats.