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CHAPITRE I : INTRODUCTION

I.1. Présentation du sujet et problématique du travail

De nos jours, la forêt tropicale constitue un enjeu politique, économique, scientifique et affectif. On sait qu'elle est soumise à une forte action destructrice à des fins d'exploitation du sol pour l'élevage et l'agriculture, des bois tropicaux ou du bois de chauffe (Chave, 2000). Elle a beaucoup souffert de projets politiques dont les conséquences sont révélées désastreuses à court terme (Chave, 2000 ; Guéneau, 2006; FAO, 2012). Face aux différents enjeux, c’est devenu même une banalité que de souligner le rôle des forêts denses tropicales humides dans deux domaines particulièrement importants pour l’avenir de l’Homme : la régulation des climats et la conservation de la biodiversité (Pascal, 2003) pour convaincre les différents acteurs de les conserver.

En outre après perturbation, les forêts, abandonnées à elles-mêmes, sont le siège d'un processus fondamental : la régénération. En effet, toute formation forestière relativement stable est, selon Rameau (2008), soumise à deux phases qui alternent en discontinuité dans l'espace et dans le temps : phase de croissance avec prédominance de phénomènes lents (croissance, maturation, vieillissement sans changements importants dans l'écosystème) ; phase de rajeunissement courte qui démarre par une rupture (ouverture) plus ou moins brutale, plus ou moins étendue de la canopée à l'occasion d'un chablis (imprévisible) ou simplement de la mort d'un arbre (prévisible), donc d'une trouée.

Le chablis, ou la chute d’un ou plusieurs arbres dans une formation forestière, ouvre la canopée et crée les clairières ou trouées, elle constitue aussi le phénomène dynamique le plus évident à l’échelle de la parcelle (Pascal, 2003 ; Rameau, 2008). Les clairières jouent plusieurs rôles dans un massif forestier. Tout d’abord elles sont le siège d’un phénomène, la succession végétale, dont les mécanismes n’agissent pas aux mêmes échelles de temps (Chave, 2000). Il s’agit ici de la maximisation de la biomasse et l’augmentation du nombre d’espèces. L’expérience de l’ile de Krakatoa semble prouver que la biodiversité a un temps largement long d’équilibrage que la biomasse dans la forêt tropicale (Wittaker et al. 1989)

L’extraordinaire richesse floristique ne cesse d’étonner les scientifiques des écosystèmes tropicaux. Ces derniers cherchent à comprendre comment cette biodiversité se maintient face au couple concurrence entre espèces et sélection, c’est-à-dire au principe d’exclusion compétitive (Pascal, 2003, Amani, 2012). Pascal (1998, 2003) affirme qu’il faut admettre l’intervention fréquente des phénomènes perturbateurs qui créent des niches écologiques différents.

En réalité, un certains nombre d’espèces existent en forêt grâce aux clairières. Parmi celles-ci il y a des espèces dont le cycle complet de vie se déroule dans les clairières (Oldeman & Dijk, 1988 ; Alexandre, 1989)  et d’autres dont une partie du cycle de vie doit se dérouler dans les clairières notamment parce que leurs graines et leurs plantules ne peuvent germer qu’en condition des clairières (Rameau, 2008 ; Bussmann, 1995 ; Lange et al, 1997 ; Whitmore, 1989). Alexandre (1989) les appelle respectivement espèces à stratégie trouée-trouée et espèces à stratégie forêt-trouée. Ainsi les clairières assurent la diversité floristique en forêt tropicale (Whitmore, 1989).

Le moindre espace libéré dans la forêt représente une opportunité à conquérir. Selon la taille de la trouée, l'état préexistant, des essences présentes (à l'état adulte, recrû végétatif, potentiels de semences) le peuplement d'avenir va se reconstituer par cicatrisation avec les arbres voisins de la trouée, par développement du recrû (germination des semences présentes dans le sol ou apportées) (Rameau, 2008). Pour de petites trouées, ce sont les individus voisins (ou leurs descendants) qui s’accroissent rapidement et assure le comblement (Pascal, 2003). Pour les plus grandes trouées, on assiste à une succession secondaire partant du stade de pionniers héliophiles jusqu’au stade de forêt adulte (Pascal, 2003 ; Rameau, 2008 ; Whitmore, 1989).

Les successions végétales sur un territoire ont non seulement pour effets d’accroitre et de maintenir la biodiversité mais aussi, sur une échelle de temps plus rapide par rapport à l’accroissement de la diversité, permettre la maximisation du stockage de la biomasse (Chave, 2000). En effet, la possibilité d’accumuler la matière organique (ou de faire la photosynthèse) est directement liée à la lumière disponible pour l'organisme végétal, mais aussi à la quantité de CO2, à la température et à la disponibilité en eau et en nutriments (Chave, 2000, Dewalt et Chave, 2004).

La fixation de carbone augmente pour plusieurs raisons : la photosynthèse de la plupart des plantes (et de tous les arbres) est stimulée par l’augmentation actuelle du CO2 atmosphérique et par l’augmentation des dépôts azotés liés aux activités humaines (Robert et Saugier, 2003). Une indication claire de l’augmentation des échanges végétation – atmosphère est fournie par l’augmentation des fluctuations saisonnières du CO2 atmosphérique, qui dépend à plus de 80% des échanges avec les continents (Keeling et al, 1996). Au niveau des continents, la quantité de carbone varie suivant les écosystèmes et dans un même écosystème suivant ses compartiments (Laport et al, 2010 ; GIEC, 2000, 2006 ; Robert et Saugier, 2003)

Après un chablis, le stock de carbone est faible mais augmentera régulièrement pendant la repousse de la forêt (Lestcuyer et Locatelli, 1999). Pour Oldeman (1990), le couvert forestier est une mosaïque en perpétuelle mouvance, de telle sorte que l’ouverture de la canopée est non seulement un moteur de sylvigenèse (Oldeman, 1974) mais aussi établit de puits actifs pour le stockage du carbone que représentent les clairières pour le cas du Parc National de Kahuzi-Biega (PNKB).

En effet, la canopée de la végétation de haute altitude du PNKB a subi dernièrement une accélération d’ouverture parfois suite à l’action de la liane Sericostachyus scandens GILG & LOPR (Balezi et al, 2008 ; Amani et al, 2008 et Masumbuko, 2011) ou encore par le phénomène connu des chablis dans les zones tropicales (Rameau 2008).

Les clairières présentent une importance dans le maintien de la biodiversité et la maximisation de la biomasse dans la forêt et jouent donc un rôle important dans la séquestration du carbone et le changement climatique. C’est dans ce cadre que Masumbuko (2011) suggère un suivi de la régénération dans les clairières et les milieux ouverts de la Partie Haute altitude du PNKB. Certaines questions méritent d’être posées pour comprendre le phénomène de cette dynamique. Comment évolue la diversité des espèces et leur biomasse dans les clairières au cours du temps? Existe-t-il un effet âge sur la diversité des clairières ou sur les abondances des espèces dans les clairières ?

En effet, les cycles sylvigénétiques qui sont les témoins du pouvoir de résilience de la forêt, c’est-à-dire de sa capacité de s’auto régénérer ou  de se cicatriser (Rameau, 2008 ; Pascal, 2003 ; Blanc, 1998), sont caractérisés par une accumulation croissante de la matière organique. Dans un tel contexte, la perspective centrale  de cette étude repose également sur les questions suivantes : Quelle est la part des clairières dans le stockage de carbone par la partie de haute altitude du PNKB au cours du temps?

À l'échelle de l'espace vital d'un arbre, s'observent de nombreuses modifications au cours de sa croissance. Les phénomènes dynamiques (variations de l'humus, du tapis herbacé) sont en relation avec le développement du modèle architectural de l'espèce, contrarié par les effets de la compétition mis en œuvre par les individus voisins (multiples réitérations, selon l’expression de Rameau). Comment évolue la quantité des carbones dans la strate herbacée de nos clairières ?

I.2. Hypothèse du travail

Les clairières sont, selon l’expression d’Oldeman (1990), des éco-unités dans lesquelles s’observent la régénération de la forêt et assurent le maintien de la biodiversité forestière. Pour aborder les problèmes liés à ces micro-écosystèmes et dégager leurs premiers aspects dynamiques, nous nous sommes proposé de tester les hypothèses suivantes :

1) Les clairières contribuent positivement à la biodiversité d’espèces ligneuses dans la partie haute altitude du PNKB lorsque la dynamique s’y observe. Cependant dans les clairières, la diversité des espèces ligneuses croit plus lentement ; 

2) Les clairières constituent des lieux de séquestration active du carbone dans la partie haute altitude du PNKB ;

3) Plus la clairière se referme, plus la strate herbacée diminue et par conséquent sa biomasse c’est-à-dire la quantité de carbone que cette strate stocke ;

4) La formation végétale de la clairière influence à la fois sa diversité et sa biomasse.

I.3. Objectifs du travail

Le présent travail poursuit les objectifs suivants :

  • Caractériser les clairières de la partie haute altitude du PNKB et particulièrement du secteur de Tshivanga;
  • Déterminer les quantités de carbone séquestré par les clairières selon différentes classes d’âge ;
  • Evaluer la quantité de carbone de la strate herbacée ;
  • Evaluer la contribution des clairières dans la lutte contre le changement climatique.

I.4. Intérêt du travail

Ce travail présente des intérêts multiples, que ce soit sur le plan de la gestion du Parc National de Kahuzi-Biega ou alors sur le plan scientifique.

Pour ce qui est de la gestion du PNKB, ce travail apportera des informations importantes sur l’évolution des clairières et la dynamique après perturbation dans la partie haute altitude ; également ce travail permettra aux gestionnaires du Parc d’avoir les premières données d’estimation de carbone au PNKB.

Sur le plan scientifique, ce mémoire permettra une première amorce des études sur la succession dans les éco-unités de la partie de haute altitude du PNKB.

I.5. Travaux antérieurs

Un nombre important des scientifiques ont déjà réalisé des travaux sur les clairières ou mieux sur les successions végétales dans les troués. Toutefois, ces travaux en République Démocratique du Congo en général et dans le Parc National de Kahuzi-Biega en particulier sont presque inexistants.

Au niveau du  Parc National de Kahuzi-Biega, Masumbuko (2011) a réalisé une comparaison, sur le plan de la diversité, entre les trouées envahies par Sericostachys scandens GILG & LOPR et celles non envahies.

Dans la région des grands lacs, nous pouvons noter le travail de Babaasa et al (2004) qui ont réalisé une caractérisation des trouées et la régénération dans le Parc National de Bwindi en Ouganda.

Sur le plan international, beaucoup de travaux ont déjà vu jour. Nous pouvons citer les travaux de Brokaw (1987), Denslow (1980, 1987), Hubbell et Foster (1986), etc.

Pour ce qui est de la séquestration du carbone, seuls les travaux réalisés en Afrique (mais ceux-ci sont encore très récents) sont présentés ici. En effet, en Afrique central Zapfack (2005) a réalisé une étude au Cameroun focalisée sur l’effet de l’agriculture itinérante et la séquestration du carbone. Dans cette étude, il analyse la variation du stock de carbone suivant les types d’utilisations des terres. Au Madagascar, Randrianasolo (2010) a réalisé un travail sur le développement d’équations allométriques pour  quantifier la biomasse aérienne dans lequel il a démontré l’importance de développement d’équations allométriques locales.

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