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CONCLUSION GENERALE

 

Nous voici au terme de notre travail de fin de cycle intitulé Des mécanismes de rationalisation du parlementarisme au niveau des provinces en République Démocratique du Congo dans la 3ème République. Comme l’indique l’intitulé, il est surprenant de voir un député provincial, que nous sommes, travailler sur les mécanismes de limitation et de rationalisation des prérogatives d’un organe délibérant dont il est membre. D’aucun penserait qu’il aurait abordé les mécanismes de renforcement des prérogatives de cet organe. Faire la différence et démontrer à l’opinion que le législateur prévoit toujours des poids et des contre-pieds est l’un des motivations de cette étude. L’ambition de ce travail était de montrer que le constituant et le législateur congolais le relayant, bien qu’ils ont fait de l’assemblée provinciale un véritable organe délibérant, un véritable législateur et lui ont doté des pouvoirs exorbitant de contrôle et de sanction sur le gouvernement provincial et les services publics provinciaux, ont rationalisé c’est-à-dire encadré et limité les prérogatives de l’assemblée provinciale dans l’exercice de toutes ses prérogatives dans le souci d’assurer la stabilité des institutions politiques provinciaux et de limiter les abus du parlementarisme. Cette limitation s’inscrit dans un Etat régionalisé, dans lequel les provinces sont des véritables entités politiques dotées d’une autonomie organique, fonctionnelle et financière (article 3 de la constitution du 18 février 2006). Pour parvenir à atteindre cette finalité, notre problématique a été axée auprès les questions suivantes : comment le constituant et le législateur organisent-t-ils les institutions provinciales ainsi que la répartition des compétences entre l’Assemblée provinciale et l’Exécutif provincial ? Quels sont les mécanismes juridiques qui limitent et rationnalisent les pouvoirs de l’Assemblée provinciale dans l’exercice de ses compétences dans la troisième République en vue d’assurer la stabilité des institutions politiques provinciales? Ces mécanismes sont-ils efficaces ?

Des réponses provisoires ont été émises en guise d’hypothèse. D’abord, nous avons estimé que  le législateur aurait organisé la répartition des compétences entre l’Assemblée provinciale et l’Exécutif provincial de manière à éviter tout conflit de compétence. Le législateur aurait déterminé limitativement la compétence matérielle de l’Assemblée provinciale  et celle de l’Exécutif provincial. Cet Exécutif ne disposerait d’aucun moyen d’action sur l’Assemblée provinciale, ce qui nous conduit à dire qu’il n’y a pas équilibre et interdépendance entre ces deux institutions comme il est le cas au niveau national entre l’Assemblée et l’Exécutif national. L’Assemblée provinciale a ainsi une prépondérance sur l’Exécutif provincial.

Certes, face à l’octroi des toutes ces compétences à l’Assemblée provinciale qui fait d’elle l’épine dorsale de la politique provinciale, il est naturel que toute personne ou organe qui détient le pouvoir, est toujours porté à en abuser. Ainsi le législateur national aurait prévu des mécanismes de limitation ou de rationalisation des pouvoirs de l’Assemblée provinciales pour éviter la dérive afin d’assurer la bonne marche de la province et la stabilité organique de l’Exécutif provincial. En plus, les pouvoirs de l’Assemblée provinciale, autorité budgétaire provinciale, devraient être limités dans le vote du budget et subordonnerait ce vote à certaines conditions pour éviter des longues délibérations qui risqueraient de laisser la province sans aucun moyen financier.

Pour vérifier ces hypothèses, nous avons dans un premier volet balisé notre étude par  une ébauche du statut de la province au regard de la constitution du 18 février 2006. A ce stade, nous avons démontré à la lumière de la constitution du 18 février 2006, de la loi n°08/012 du 31 juillet 2008 portant principes fondamentaux relatifs  à la libre administration des provinces et de la doctrine des publicistes congolais et étrangers que la province est une véritable entité politique autonome. Le Professeur Felix Vunduawe te Pemako écrit que la nouvelle Constitution promulguée le 18 février 2006 a innové l’organisation d’un Etat unitaire caractérisé par le régionalisme politique au niveau des provinces, d’une part, et par la décentralisation administrative, d’autre part, à l’échelon inférieur des entités territoriales de base.[1]  ce type d’Etat est l’œuvre du constituant dans le cadre d’un Etat unitaire décentralisé qu’on appelle régionalisme politique ou simplement Etat régional.[2] Celui-ci se situe, continue Félix Vunduawe Te Pemako, dans une position intermédiaire entre l’Etat unitaire classique (comme la France avant la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 et  la République Démocratique du Congo sous la Constitution du 24 juin 1967) et l’Etat fédéral (comme les Etats-Unis d’Amérique, la Belgique et l’Allemagne).[3] C’est un modèle que la doctrine a dégagé à partir du système italien, espagnol, portugais et belge (avant la transformation de la Belgique en Etat fédéral en 1993).[4]

S’agissant des compétences, la loi n°08/010 du 31 juillet 2008 portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces a réparti les compétences dévolues aux provinces par le constituant (art.203 et 204) entre l’Assemblée provinciale et l’Exécutif provincial. Le législateur a circonscrit la réserve législative (comme pour  le Parlement national) aux articles 35 et 36 de la loi sur la libre administration des provinces. Ainsi, les matières autres que celles des articles 35 et 36 ont un caractère règlementaire et relève donc de la compétence de l’Exécutif provincial. Nous pouvons ainsi dire que ce dernier a la compétence de principe et l’Assemblée provinciale détient la compétence d’attribution.  Ces propos  vérifient et corroborent notre première hypothèse.

Dans un second volet de l’étude, nous avons abordé les mécanismes juridiques de rationalisation du parlementarisme  au niveau de la province en RDC. Nous avons d’abord abordé le fondement de cette rationalisation du parlementarisme.  Nous inspirant de l’analyse  des Professeurs Jean-Michel Kumbu, Bob Kabamba et du Chef des travaux Jean-Louis Essambo Kangashe[5], nous nous rendons compte que les grands axes de la constitution tendent vers la recherche d’une certaine stabilité politique et d’un équilibre aussi bien organique que fonctionnel des institutions. Le nouvel ordre politique appelle avant tout la mise en place d’un régime démocratique fondé sur un ordonnancement constitutionnel assurant la séparation effective des pouvoirs en même temps que leur collaboration afin d’éviter que d’une part toute concentration du pouvoir entre les mains d’un seul organe et d’autre part, d’aménager une judicieuse collaboration entre ces pouvoirs sans laquelle le fonctionnement du régime risque de connaître des blocages préjudiciables.

Après cette justification, nous avons alors démontré les mécanismes juridiques de rationalisation du parlementarisme à l’aune d’une analyse exégétique de la constitution et de la loi portant principes fondamentaux  relatifs à la libre administration. Nous avons démontré, à la suite de la doctrine, que les mécanismes de rationalisation du parlementarisme passe à travers une limitation, une réduction des compétences de l’Assemblée provinciale et un renforcement fonctionnel de l’exécutif et une stabilité organique de celui-ci.  La constitution du 18 février 2006, rappelons-le, fait de l’Assemblée provinciale l’organe délibérant de la province. Cet organe ne délibère que dans le domaine des compétences réservées à la province et contrôle le Gouvernement provincial ainsi que les services publics provinciaux et locaux. Elle légifère par voie d’édit.[6]

Cette disposition, bien qu’elle fait de l’Assemblée provinciale l’organe délibérant de la province et le lieu d’expression de la volonté générale de la province, on serait tenté de penser que cet organe peut intervenir dans toutes les matières dévolues à  la province et en tout temps sans limitation ni condition. Ce raisonnement n’est pas valide étant donné que cette compétente législative dévolue aux assemblées provinciales n’est pas absolue. Elle est limitée d’abord par la répartition des compétences entre les provinces et le pouvoir central (articles 202, 203 et 204 de la Constitution). Ainsi l’Assemblée provinciale ne peut prendre des édits que dans le domaine des compétences réservées uniquement à la province ou dans les matières de la compétence concurrentes (art.203 de la constitution) ou exceptionnellement dans le domaine exclusif du pouvoir central sur habilitation du parlement.[7] Autrement dit, tout édit contraire à la règlementation nationale (loi ou règlement) pris par une Assemblée provinciale sera annulé de plein droit pour illégalité conformément aux prescrits des alinéas 4 et 5 de l’article 205 de la constitution. Ensuite, l’architecture juridique congolaise de la troisième République n’a pas donné compétence à l’Assemblée provinciale pour intervenir dans toutes les matières des art.203 et 204 de la constitution. Elle partage ces matières avec l’Exécutif provincial. L’Assemblée provinciale est ainsi enfermée dans un cadre de compétences sur les matières des art.35 et 36 de la loi portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration. Les matières non reprises par ces dispositions mais reprises aux art.203 et 204 de la constitution ont un caractère règlementaire et relèvent de la compétence  de l’Exécutif provincial. Le constituant et le législateur organisent un encadrement strict des pouvoirs de l’Assemblée provinciale en matière financière. les pouvoirs financiers de l’Assemblée provinciale sont rationalisés également dans la restriction du pouvoir d’amendement à la loi des finances. L’article 127 de la constitution stipule que les amendements au projet de loi de finances ne sont pas recevables lorsque leur adoption a pour conséquence, soit une diminution des recettes, soit un accroissement des dépenses, à moins qu’ils ne soient assortis de propositions compensatoires.

Il ne fait l’ombre d’aucun doute que l’affaiblissement des pouvoirs de l’Assemblée provinciale sus-évoqué est, en réalité, orienté vers un renforcement de l’Exécutif provincial. Ce renforcement des prérogatives de l’Exécutif provincial passe à travers sa stabilisation organique. L’article 41 de la loi sus mentionnée précise que l’Assemblée provinciale a le droit d’adopter une motion de censure ou celle de défiance contre tout ou partie de l’Exécutif provincial. L’adoption de ces motions a été rationalisée dans le souci d’assurer la stabilité organique de l’Exécutif. Quant au renforcement fonctionnel de l’Exécutif provincial, celui- passe à travers le partage des matières entre l’Exécutif et l’Assemblée provinciaux.

[1] Félix Vunduawe Te Pemako, « Réflexions sur le régionalisme politique ou la nouvelle décentralisation territoriale » in PNUD, Op.cit., p.77.

[2] L., Favoreu et allii, Droit constitutionnel, 2ème édition, Paris, Dalloz, 1999, pp.443-458 ; Voir utilement Ch., Debbasch et allii, Droit constitutionnel et institutions politiques, 4ème édition, Paris, Economica, 2001, pp.36-37 ; M., Uyttendaele, Précis de droit constitutionnel belge, Bruxelles, Bruylant, 2001, pp.45-46 ; F., Hanon et M., Troper, Droit constitutionnel, 29ème édition, Paris, LGDJ, 2005, p.82.

[3] F., Vunduawe Te Pemako, Op.cit., p.86.

[4] M., Leroy, De  la Belgique unitaire à la l’Etat fédéral, Collections «   Les Inédits  De Droit Public », Bruxelles, Bruylant, 1996, pp.5 et 44-59. Voir utilement M.A. Lejeune, Introduction au droit et aux institutions de la Belgique fédéral, 4ème édition, Bruxelles, La Charte, 2004, pp.15-18.

[5] Jean-Michel Kumbu, Bob Kabamba et Jean-Louis Essambo Kangashe, « La constitution de la République Démocratique du Congo » in PNUD, Mandants, rôles et fonctions des pouvoirs constitués dans le nouveau système politique de la République Démocratique du Congo, Kinshasa, sine domo, 2007, pp.20-21.

[6] Constitution de la RDC du 18 février 2006, Op.cit., article 197. C’est nous qui soulignons.

[7] Idem, article 205.

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